ITV ET REPORTAGE Les Marocains élisent aujourd’hui leurs représentants au parlement dans un contexte politique et social tendu:…

ITV ET REPORTAGE

Les Marocains élisent aujourd’hui leurs représentants au parlement dans un contexte politique et social tendu: Montée de l’extrémisme, chômage des jeunes, et absence de réel projet de société. Si les candidats issus du PJD, le parti islamiste considéré « modéré » devrait l’emporter, le taux de participation devrait être « dérisoire » selon de nombreux observateurs sur place en ce jour de scrutin. Les résultats devraient être connus dimanche 9 septembre.

Ilhem Rachidi, une journaliste marocaine qui vit entre la France et le Maroc, nouvelle correspondante de LaTéléLibre, nous fait parvenir cet article passionnant sur le contexte politique et social au royaume du Maroc : les Marocains semblent ne pas croire en la démocratie…

Rabat, MAROC – Dans certains quartier comme l’Agdal, un quartier relativement aisé de Rabat, la capitale politique du royaume, la campagne se fait discrète et passionne bien peu les Marocains, très méfiants à l’égard des partis. « Il n’y a rien, c’est mort, » dit un militant actif du parti islamiste Justice et Développement (PJD), le troisième parti du parlement marocain. « C’est la fin des vacances, la rentrée scolaire, c’est bientôt le Ramadan. Ils ont volontairement choisi cette date pour que ça soit calme. »

« J’ai l’impression que c’est l’année prochaine les élections, » dit Khadija*, une lycéenne de 17 ans, qui se préoccupe d’une éventuelle arrivée au pouvoir des islamistes. « J’ai lu un truc sur un journal où les différents candidats disaient ce qu’ils pensaient sur divers sujets. Moi, franchement, si je savais à peine lire ou écrire, je voterais pour les islamistes. Ils donnaient des indications précises, des chiffres, alors que les socialistes étaient très vagues. »

LES PARTIS TRADITIONNELS COUPÉS DU PEUPLE
En effet, l’Union Socialiste des Forces Populaires (l’USFP), aujourd’hui le premier parti au parlement marocain et principale force d’opposition sous
Hassan II, s’est progressivement coupé d’une partie de son électorat et des ses militants. « J’étais à l’USFP il y a quelques années, » dit Ahmed*, chauffeur de taxi. « Je ne voterai plus, » soupire-t-il, ajoutant qu’il ne craint plus une victoire des islamistes, qui sont pourtant les ennemis jurés des socialistes.
Pourtant, le parti socialiste représentait la seule réelle alternative pour certains marocains préoccupés par la percée annoncée du PJD. « Vous n’imaginez pas à quel point l’USFP a déçu les Marocains, » dit Aziz Rebbah, tête de liste du PJD à Kénitra, conscient de l’aptitude de son parti à
récupérer un certain nombre de ces déçus. Malgré un découpage électoral et un mode de scrutin qui favorise la fragmentation du champ politique et qui leur est défavorable, les islamistes sont certains de leur victoire et tablent sur un score de 70 à 80 sièges sur 325 au total.

Les islamistes du PJD semblent avoir su mobiliser leur électorat et disposent d’un réseau organisé de militants. Ils ont aussi réussi le pari de rassurer et de convaincre une grande partie des marocains, qui ne leur était pas acquise et qui ne craint plus leur arrivée au pouvoir. « Ils sont très proches du peuple, »
explique Fatima*, la propriétaire d’un restaurant du quartier Hassan à Rabat. « La seule chose, c’est qu’ils sont ringards, constipés, mais ils sont honnêtes,
droits. » Pour séduire les Marocains, le PJD appelle à une moralisation de la société et de la classe politique, un sujet qui ne laisse aucun marocain indifférent, tant la corruption est importante. Leur référence à l’Islam et leur relative virginité politique sont leurs deux principaux atouts, dans un pays où le radicalisme religieux avance à grands pas. Mais « est-ce qu’ils seront honnêtes s’ils arrivent au pouvoir? » se demande toutefois un de leurs militants, las de la corruption de la classe politique marocaine.


RUMEURS SUR LA NOMINATION D’UN PREMIER MINISTRE

Nombreux sont les Marocains qui ne saisissent pas l’enjeu et le caractère exceptionnel de ces élections, qui sont les premières à pouvoir permettre aux islamistes de devenir une force politique majeure (la première force politique d’après les sondages et de nombreux analystes politiques) et d’entrer au gouvernement, sauf si le roi Mohamed VI et son entourage proche en décident autrement. En effet, à travers Rabat des rumeurs circulent sur l’éventuelle nomination d’un proche de Mohamed VI, Fouad Ali El Himma, l’ancien Secrétaire d’Etat à l’intérieur, au poste de premier ministre, qui reste nommé par le roi, qui détient tous les pouvoirs.

Déjà, il y a cinq ans après les législatives de 2002, Mohamed VI avait nommé premier ministre Driss Jettou, un homme qui n’est pas issu des partis, en dépit de la victoire de l’USFP avec 50 sièges, suivi de près du parti nationaliste de l’Istiqlal avec 48 sièges.

Ce scénario, s’il en agace beaucoup qui voient décidément mal l’intérêt d’élire un parlement avec toujours peu de pouvoirs et qui regrettent le fait que le premier ministre ne soit pas forcément issu de la majorité, en rassure néanmoins beaucoup d’autres.

Les opposants au PJD sont nombreux à penser que c’est uniquement la volonté du roi qui permettra d’empêcher les islamistes de diriger et de former le gouvernement. « Avec ou sans moi, ces élections se feront, alors ce n’est même plus la peine que j’y participe, vu que le scénario est prévu d’avance, » disent de nombreux marocains. Alors qu’elle s’apprête à voter blanc, Loubna, une jeune assistante dentaire à Rabat, ne voit pas l’utilité de son vote. « Seuls les islamistes pourraient changer les choses, mais on ne les laissera pas travailler, alors je ne voterai pour personne. »

LA CAMPAGNE N’A PAS MOBILISÉ LE PEUPLE
Malgré les moyens déployés par les autorités marocaines (campagnes publicitaires, promesse d’élections « propres ») et par les partis politiques,
qui ont présenté des programmes relativement détaillés, l’abstention risque d’être assez forte. Il est rare de trouver des électeurs motivés et
convaincus de leur choix dans les rues de Rabat, malgré un vaste choix, puisqu’il y a 33 partis en lice.

Dans les quartiers populaires comme Takaddoum, la campagne est un peu plus animée. S’ils restent peu convaincus par leurs candidats, les habitants semblent un peu plus mobilisés. « Les gens risquent de voter même s’ils disent le contraire. L’argent coule à flots, » raconte Hamid*, un pharmacien, « alors les gens se disent autant gagner 50 ou 100 dirhams. »

Cela ne décourage pas les jeunes militants qui distribuent des tracts à travers la capitale. « Qui vous dit que les Marocains se désintéressent de ces
élections? » demandent des militants socialistes, peu conscients du déclin de leur parti, sur un ton assez agressif. « Ou nous gagnons, ou c’est Kaboul, » dit Noreddine, militant de l’USFP depuis 1999, tandis qu’il tente de convaincre les passants. C’est en effet un modéle de société que les Marocains sont censés choisir, avec d’un côté les extrémistes religieux qui gagnent du terrain, et de l’autre, une partie des Marocains qui rejettent cette radicalisation de la société et la place que les islamistes veulent donner à la religion dans la vie publique.

Le sursaut démocratique tant attendu n’aura pas lieu, malgré l’union conjoncturelle de trois partis politiques au sein de la Koutla (composée du PPS, l’ancien parti communiste, des nationalistes de l’Istiqlal et de l’USFP), union annoncée pour le lendemain des élections, afin de barrer la route aux islamistes. Une pétition signée par de nombreux intellectuels appelant à une résistance contre l’obscurantisme, circule depuis plusieurs jours.

Ces tentatives paraissent bien dérisoires face au rouleau compresseur islamiste. Pendant que les politiques marocains s’évertuent à faire des calculs politiciens pour limiter la présence du PJD au pouvoir.
La rue marocaine, elle, se radicalise, en silence.

Ilhem Rachidi