DOSSIER: Suite au drame du petit Enis, Nicolas Sarkozy annonce une nouvelle loi. La dernière en date sur…

DOSSIER: Suite au drame du petit Enis, Nicolas Sarkozy annonce une nouvelle loi. La dernière en date sur la récidive date du 10 août. Encore une, est-ce bien utile?

L’affaire Evrard, du nom du pédophile présumé qui aurait violé le petit Enis, relance le débat sur la récidive, alors même qu’une loi est parue le 10 août dernier au Journal Officiel. Une loi qui durcit encore les peines pour les récidivistes. Hier, au retour de ses vacances, Nicolas Sarkozy a fait une annonce foudroyante: encore une loi! Pendant la conférence de presse, le président de la République a annoncé deux mesures principales. Premièrement, il n’y aura plus de remise de peine pour les délinquants sexuels: « Je ne comprends pas que lorsqu’on est condamné à 27 ans de prison, on n’en fasse que 18 », lance-il devant les journalistes. Deuxième mesure, nettement plus polémique et qui a déjà entraîné la réaction d’anciens ministres de la Justice, c’est la création d’un collège de psychiatres qui examinerait le détenu à sa sortie de détention, pour déterminer de sa « dangerosité ». Si ce collège le déclare « dangereux » et susceptible de récidiver, il sera alors enfermé dans un hôpital fermé. S’il ne le déclare pas dangereux, il sera libéré. La question: est-ce que ce n’est pas donner trop de pouvoir aux médecins?

Face aux déclarations de Nicolas Sarkozy, le Syndicat de la Magistrature monte au créneau et dénonce l’accumulation de lois contre la récidive et la délinquance. Aux dires de cette organisation, une simple loi ne peut pas résoudre à elle seule, le problème, extrêmement complexe, de la pédophilie et des violence sexuelles. Deuxième conflit entre le président de la République et les juges: le poids des experts, notamment psychiatriques. Pendant l’affaire Outreau, on a reproché au juge d’instruction d’avoir fait confiance aux experts psychiatriques qui affirmaient que les enfants ne mentaient pas lorsqu’ils affirmaient avoir été violés. La suite de l’affaire a démontré le contraire. Emmanuelle Perreux présidente du syndicat de la Magistrature et Juge d’Application des Peines au Tribunal de Perrigueux, dénonce aujourd’hui le manque de cohérence du président de la République, qui au moment de l’affaire Outreau, était ministre de l’Intérieur.

LA LOI EXISTE DÉJÀ, CE SONT LES MOYENS QUI MANQUENT

Une loi de plus, le syndicat de la magistrature est contre. D’autant plus que selon lui, les structures existent déjà pour lutter contre la récidive des délinquants sexuels. En 1998, Elisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, fait voter une loi sur l’injonction du traitement psychiatrique à la sortie de la prison pour les délinquants sexuels. Cette procédure, le suivi socio-judiciaire, est peu appliquée aujourd’hui. En cause: le manque de moyens et de personnel médical volontaire.
Pour Emmanuelle Perreux, c’est dommage car selon elle, c’est une démarche qui pourrait fonctionner, si elle était appliquée.

426 euros par an et par patient pour le psychiatre coordinateur, c’est 426 euros pour 4 consultations par an en moyenne, et plus si l’état du patient l’exige, sans compter la gestion de la relation avec le Juge d’Application des Peines et avec le travailleur social. Celui-ci est chargé également de réinsérer le sortant de prison (lui trouver un travail, un logement entre autres). Selon les propres mots d’Emmanuelle Perreux, cela suppose énormément de temps à consacrer à un patient. Sans compter la lourde responsabilité que cela représente.

LE CONSEIL DE L’ORDRE DES MÉDECINS APPROUVE SARKOZY

Du côté des médecins, le son de cloche est radicalement différent et nettement moins polémique. Afin de connaître l’opinion du Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM), nous avons rencontré son président Michel Legmann. Soulignant qu’une procédure judiciaire était en cours, il n’a pas voulu s’exprimer sur les agissements du médecin ayant prescrit du Viagra à Francis Evrard alors qu’il était encore en prison. Et à la question « Pourquoi ce médecin n’a pas pris connaissance du dossier médical du détenu ? », le président du CNOM répond par une autre interrogation : Pourquoi l’administration pénitentiaire n’a pas fourni ce fameux dossier au praticien ?

Tout le problème est donc là. Car à ce jour, l’administration pénitentiaire n’a pas accès au dossier médical des détenus, et inversement les médecins n’ont pas accès aux fichiers pénaux même s’ils connaissent les chefs d’accusation. Mais alors, que deviennent les secrets médical et judiciaires?

Pour l’heure, une question reste en suspend : un médecin est-il responsable des conséquences sociales de ses actes ? Une question à laquelle Michel Legmann répond par une pirouette.



DONC, LES MÉDECINS POURRAIENT AVOIR PLUS DE POUVOIR QUE LES JUGES…

C’est en tout cas ce que semble suggérer Nicolas Sarkozy à travers ses projets de mesures. Autre point : les problèmes d’ordre constitutionnel que posent les suggestions du président de la République et sur lesquels l’ancien garde des Sceaux, Pascal Clément, s’est attardé mardi 20 août. D’une part, « peut-on distinguer le criminel sexuel des autres ? » Auquel cas, il y a un risque de rupture d’égalité entre ces deux types de délinquants. Et d’autre part, l’enfermement psychiatrique peut-il être considéré comme une peine ou pas ? « Si c’est une peine, vous tombez sous l’inconstitutionnalité de la loi parce que vous ne pouvez pas rajouter à une peine une autre peine »pour le même chef d’accusation, explique l’ancien ministre.

Fidèle à son rôle d’hyper président, Nicolas Sarkozy a bondi sur l’occasion pour fêter son retour de vacances. Un petit tour devant les caméras ne se refuse pas, mais au passage, aurait-il oublié de consulter des juristes? Sarkozy, l’iconoclaste adore briser les tabous. En plus c’est vendeur.

Marie Drollon, Aneline Mennella, Clément Magnin et Bertrand Basset.