Bernard Arnault, première fortune de France, ami proche de Nicolas Sarkozy et propriétaire du quotidien économique La Tribune s’apprête à racheter le journal Les Echos. La grogne est montée dans les deux rédactions comme dans l’ensemble de la profession.

Considérée jusque là comme un quatrième pouvoir, la presse est en passe de perdre cette dénomination au dépend des pouvoirs politiques. Daniel Schneidermann poussé vers la sortie de France 5, la Bande à Bonnaud remerciée de France Inter, les émissions allant à contre-courant des politiques semblent ne plus être appréciées par les directeurs d’antennes. Les syndicats de Radio France, CGT et SUD, y voient « un début de reprise en main politique des antennes ».
La vision des journalistes des quotidiens économiques Les Echos et La Tribune est identique. Ceux-ci protestent contre l’éventuel rachat des Echos, journal jusque là possédé par le groupe britannique Pearson, par le milliardaire Bernard Arnault, ami personnel de Nicolas Sarkozy et notamment témoin du mariage du Président de la République, et son groupe de produits de luxe LVMH. Les revendications sont toutefois différentes. Les journalistes du titre en phase de rachat ne souhaitent en aucun cas être associés à un proche du pouvoir politique en place. Ils ne souhaitent pas non plus être possédés par un grand groupe industriel dont les connivences avec le pouvoir économique peuvent conduire à des pressions internes. En 2006, Arnault était placé en tête des fortunes françaises et au septième rang mondial par le magazine économique américain Forbes, avec un pécule estimé à 26 milliards de dollars (environ 19,3 milliards d’euros). LVMH possèdent notamment les marques Louis Vuitton, Moët&Chandon, Kenzo, Givenchy ou encore Christian Dior. Le chiffre d’affaire du groupe était, en 2005, de 14 milliards d’euros. Il n’est pas improbable d’imaginer qu’un patron de telles marques utilise son journal comme une tribune pour favoriser ses intérêts. Un membre de la rédaction du journal La Tribune l’affirmait à Jean-Pierre Tailleur, dans un article paru dans le Monde Diplomatique en septembre 1999, « les articles sur LVMH sont sous haute surveillance parce que Bernard Arnault ne supporte pas les graphes montrant une chute de ses titres. L’intérêt de notre actionnaire passe avant celui du lecteur. » C’est exactement ce que refusent donc les rédacteurs des Echos.

« Préserver l’indépendance et le pluralisme de la presse »

De leur côté, les journalistes de La Tribune, ne désirent pas voir leur concurrent principal intégrer le même groupe que le leur. Ils redoutent des conflits d’intérêts importants. Dans un communiqué rédigé vendredi dernier, les salariés du deuxième quotidien économique français affirmaient partager le « souci de préserver l’indépendance et le pluralisme de la presse ». Il est vrai qu’en cas de possession de deux des plus puissantes publications économiques en France par le même groupe, la pluralité de l’information serait remise en cause. Il est peu probable que le journal Les Echos puisse aborder le sujet LVMH comme il le faisait jusqu’ici en cas de rachat du quotidien par Bernard Arnault.
En ce sens, les deux rédactions s’étaient mises en grève vendredi dernier, empêchant la sortie en kiosque de leur publication respective. « Nous avons décidé d’arrêter la grève pour ne pas pénaliser nos lecteurs » a déclaré à LaTeleLibre Vincent de Féligonde, président de la Société des Journalistes des Echos. « Mais nous menons d’autres actions dans tous les sens pour ne pas être rachetés par Arnault ».
Après le licenciement d’Alain Genestar de la direction de Paris Match pour avoir publié en Une la photo de Cécilia Sarkozy aux côtés du publicitaire Richard Attias, après l’éviction de Joseph Macé-Scaron de la rédaction en chef du Figaro Magazine pour avoir « refusé de tailler des pipes à Monsieur Nicolas Sarkozy », dixit l’intéressé dans On Refait le Monde sur RTL, après les nombreuses accusations pesant sur la censure au sein du Figaro par Serge Dassault, après la non-publication dans le Journal du Dimanche d’un article concernant le non-vote de Cécilia Sarkozy au deuxième tour des élections présidentielles, et après bien d’autres affaires encore, les journalistes semblent sérieusement se rebiffer. Les consciences se réveillent peu à peu et LaTeleLibre se fera bien entendu l’échos de cette lutte contre les connivences entre les médias et le pouvoir politique.

Martin Baumer