Dans son théâtre de l’Élysée, le Président de la République manipule les journalistes comme s’ils étaient des marionnettes, qui pourtant posent de bonnes questions.

Son récent séjour au Vatican avec Jean Marie Bigard a visiblement marqué notre président. La séance de questions qui suivait son discours lors de la longue conférence de presse d’hier a en effet donné à Nicolas Sarkozy l’occasion d’un véritable One Man Show, dans lequel les journalistes se sont retrouvés relégués au rang de spectateurs.

A voir la rude bagarre pour poser une question – plus de 500 journalistes français et étrangers se disputaient le micro – on comprend qu’il ait été impossible à chacun de reprendre la parole et recentrer lorsque le Président esquivait la question ou apporter la contradiction quand il énonçait des contre vérités. Il faut rappeler que la règle est de subtiliser le micro au journaliste dès que la question a été posée, pour justement empêcher le « droit de suite »…. C’est regrettable, tant il s’est plu à botter en touche, à faire rire l’assemblée sur la forme en escamotant le fond. A chaque question dérangeante, il a répondu en faisant la leçon aux journalistes, avec un ton professoral et des mots d’esprits cassants et bien placés. Lorsque l’on pointe son omniprésence sur la scène médiatique, il répond avec un ton innocent sur l’air déjà entendu du « c’est vous qui parlez de moi. » Interrogé sur son futur mariage avec Carla Bruni, il déclenche l’hilarité des journalistes en les remerciant d’avoir attendu la deuxième question pour aborder le sujet, puis en plaisantant – rapport à l’annonce faite dans le Journal Du Dimanche : « C’est pas le JDD qui fixera la date… ».

Tout cela serait fort drôle s’il ne s’agissait pas pour le Président de répondre de son action devant le dernier pouvoir à n’être pas encore – on ose l’espérer ! – totalement acquis à sa cause, le pouvoir médiatique. On aurait pu croire qu’il saisirait l’occasion pour parler de fond. Mais qu’il agite le spectre de l’invasion des immigrés dans une formule que n’aurait pas renié le Jean-Marie Lepen des grands jours, alors qu’on l’interrogeait sur le sort de familles déchirées par les expulsions de sans-papiers, ou qu’il relègue la question du pouvoir d’achat à une question secondaire qui n’intéresse que peu les français, Sarkozy n’a offert à la presse qu’un spectacle de grandes et de petites phrases.

Le show atteint des sommets après la question de Laurent Joffrin. Est-ce parce que le rédacteur en chef de Libération l’a traité la veille de « Poutine soft » dans ses colonnes ? Toujours est-il que Nicolas Sarkozy a visiblement décidé de se le payer. Joffrin, qui l’interroge sur son omniprésence médiatique et sa gestion autoritaire du gouvernement, lui demande s’il n’a pas précédé la réforme de la Constitution pour instaurer un « pouvoir personnel », une « monarchie élective. » Sarkozy dégaine une punch line : « Monarchie, ça veut dire héréditaire, vous croyez que je suis donc le fils illégitime de Jacques Chirac qui m’aurait mis sur un trône ? » La leçon d’abord (« Monsieur Joffrin, un homme cultivé comme vous, dire une aussi grosse bêtise »), puis une nouvelle blague : « Le pouvoir personnel vous en parliez déjà à propos du Général de Gaulle, c’est du recyclage Monsieur Joffrin ! On est dans la société du développement durable, mettez vous au goût du jour ! » Le journaliste a osé dire à propos de l’évaluation du gouvernement par un cabinet privé que certains ministres étaient en sursis ? « Je vous retournerai pas le compliment » raille le Président, en ironisant avec une grande finesse sur les difficultés financières du quotidien.

Evidemment, la nature de la rencontre ne favorisait pas le débat. Une conférence de presse, avec plus de 500 journalistes, est rarement l’occasion d’un débat contradictoire. Mais que ce soit la faute aux journalistes qui l’approuvent religieusement, comme lors des régulières convocations de Patrick Poivre d’Arvor et Arlette Chabot à l’Elysée, ou à la situation, le résultat est le même : Nicolas Sarkozy ne souffre aucune contradiction.

Ces dernières semaines, la situation évoluait pourtant. Plusieurs membres du gouvernement, auparavant très soumis à ses ordres, ont fait entendre des divergences. La gauche, divisée et quasiment incapable jusqu’alors d’apporter la contradiction dans le débat d’idée, trouve de plus en plus l’occasion de le faire à mesure que le Président et le gouvernement multiplient les erreurs. Les journalistes enfin, qui se font de plus en plus l’écho du ressentiment des français à l’égard de celui qui, après avoir donné des leçons de courage et incité tout le monde à se mettre au travail, choque par son incapacité à remédier à la question du pouvoir d’achat et ses vacances princières. Mais hier matin, le temps d’une conférence de presse, la France semblait n’être le théâtre que d’un seul homme, sur scène, qui assurait le spectacle.

Joseph Hirsch