Merci. J'avais vingt un ans lorsque Martin Luther King prononça ce discours. Moi qui ne crois ni à diable ni à dieu. J'ai commis, aujourd'hui 20 janvier, un texte que je greffe à ce commentaire. "Voilà donc un jour à marquer d'une pierre noire. Ce qui m'obsède depuis que je me suis extrais de ma litière, lorsque j'ai sollicité la radio et que les bafouilleux patentables m'ont répété vingt fois l'heure qu'un évènement considérable faisait converger vers Washington des centaines et des centaines de milliers d'américaines et d'américains. Ce qui m'a obsédé durant ces quelques minutes prodigieuses, lorsque le soleil s'est extrait de la mer, qu'il a pris un peu de hauteur puis qu'il a déchiré le voile des nuages, sorte de rideau de scène obsolète simplement destiné à borner l'horizon. Le soleil de ce jour naissant, comme une promesse d'un renouveau. Une émotion d'une violence inouïe. Après que j'eus feuilleté, hier soir, les pages consacrées non à l'irruption du Messie mais au bonheur d'un peuple. Et que ce matin encore, ma mémoire me restitue des images plus fraternelles, plus chaleureuses les unes que les autres. Alors, oui, ce matin, tout en observant l'ascension du soleil, tout en la photographiant, je fredonnais l'une ou l'autre des mélodies qui ont jalonné les combats, les révoltes, le cheminement des damnés de la terre de là-bas. Ce là-bas d'Amérique. Qui a concentré, dans un mouvement contradictoire, tant de mes colères et tant de mes ressentiments, mais aussi tant de mes joies. Tout cela durant un bon demi-siècle. Des monceaux de livres, des films, des chansons. Les liens vers l'intelligence, la sensibilité, l'ouverture. Contre la barbarie, la morgue, la corruption. Le roman de Don Dellilo, commenté hier, ce roman qui ne me quitte pas, contre la torture dans l'enceinte close du bagne de Guantanamo. J'emmerde les pisse-froid de chez nous, les vérolutionnaires arrimés à leurs certitudes, qui refusent que le monde change hors des modalités déterminées par eux. Aujourd'hui, mardi 20 janvier, je suis un homme heureux. Je suis heureux pour tous ces gens de là-bas dont le vote a fait vaciller le système. Mon soleil de Palavas s'est d'abord et avant tout levé pour eux. En premier lieu pour les opprimés, les privés de droits, ces femmes et ces hommes qui voici guère plus de quarante ans restaient enclos à la périphérie du statut dévolu à leurs aïeux. L'esclavage. Mon soleil de Palavas s'est levé pour saluer celles et ceux qui, jusqu'au plus profond de leur chair ont eu à souffrir d'un racisme immonde. Voilà qu'enfin, là-bas, tous les êtres humains naissent libres et égaux en droits. Le chemin sur lequel ils s'engagent ne sera certes pas pavé de roses. Mais ils se sont dotés du pouvoir d'infléchir le cours de leur histoire. Le reste, je l'ai déjà écrit, est leur affaire. Aujourd'hui, mardi 20 janvier 2009, je me contente de partager la liesse populaire. Tout ce qui me vient de Washington, mais aussi d'un peu partout de cette Amérique des hommes et des femmes qui ont donné sens à ma vie. La joie rayonnante d'un vieux monsieur, Pete Seeger (90 ans dans quelques semaines), sur la scène où l'accompagnait, dimanche, Bruce Springsteen, témoigne qu'un autre rêve prend son essor. Un rêve de fraternité, d'écoute, de partage. Les mots de Paul Auster, ceux de Russel Banks. Toutes ces choses parcellaires que je relie à ce qui s'est accumulé en moi, tout ce que je n'ai jamais pu renier en dépit des actes les plus insensés commis au nom de l'Amérique. Je suis un homme heureux, pour eux, à cause d'eux. Pour tout ce qu'ils m'ont légué. (Pour ce musicien qui fut mon voisin durant les années où j'ai vécu à Montreuil-sous-Bois. Kenny Clarke, génial batteur, exilé dès le début des années cinquante en banlieue parisienne pour n'avoir plus à souffrir des discriminations.) Je suis un homme heureux. Je récupère, ici, à Palavas, un peu de ce qui fait le bonheur de millions d'américaines et d'américains. Cette chose apparemment insensée mais qui permet de continuer à croire en un monde un tout petit peu meilleur. Je leur suis gré de ce petit peu là. Pace è Salute!"