Qu’on s’en réjouisse ou non, le peuple irlandais a parlé

Correspondance d’Irlande, un vendredi 13…

Les jeux sont faits. Après le non français et néerlandais au traité constitutionnel en 2005, l’Irlande vient de prolonger cette tradition référendaire en ce qui concerne l’UE en rejetant le plan B, celui du traité de Lisbonne.

Le non l’a emporté avec un score de 53,4% contre 46,6% pour le oui. Il a été très fort dans les zones rurales et populaires et le soutien pour le traité dans les zones urbaines de la classe moyenne a été moins fort que prévu. On a pu se rendre aux urnes hier entre 7h du matin jusqu’à 10 h du soir. Pourtant, le taux de participation a atteint seulement 50% (selon le Irish Times). Donc, le non représente-il la victoire de l’indifférence ou de la mémoire courte après tout ce que l’UE a fait pour l’Irlande ? Les gens qui se sont prononcé pour le non ne sont-ils tous que des ultraconservateurs, des catholiques d’extrême droite, des libéraux ou des anti-libéraux etc. ? Bref, ces Irlandais qui ont voté non sont-ils tous des anti-européens ?
En attendant la dissipation de la fumée, on peut essayer de donner une esquisse d’une réponse. On peut suggérer que ceux qui se sont abstenu de voter l’ont fait parce qu’ils ont jugé le traité trop complexe et incertain, le torrent des arguments entre les deux camps trop déroutant pour être capable de trancher. Peut-être la plupart des abstentions reflète simplement un trait irlandais : l’horreur de trancher tout court. Comme le souligne Frank McNally dans le Irish Times (le 7 juin) : « En fait, notre façon préférée de traiter d’une question est de demander une autre. » Peut-être il y a ceux d’entre eux qui ont trop senti la pression, la responsabilité ou même le ressentiment qui peuvent accompagner un pays de 3 millions d’électeurs qui doit décider pour 500 millions de citoyens de l’UE. Ce dernier facteur peut aussi être lié aux électeurs du non qui se demandent : « Si le traité de Lisbonne est vraiment le meilleur traité pour l’Europe qui va rendre le système plus efficace, plus transparent, plus proche des citoyens, pourquoi, alors, les autres citoyens n’ont-ils pas la possibilité de faire la même chose que nous ? » ou « Veut-on que l’Irlande soit le bouc émissaire d’un projet qui n’enthousiasme pas un grand nombre des dirigeants européens, et qui n’ont pas envie de prendre le risque d’un référendum parce qu’ils auraient également du mal à vendre ce traité à leurs citoyens ? »
Quant à la vente de ce traité, on a déjà parlé des difficultés du camp du oui contre l’offensive efficace du celui du non (voir l’article précédent).

Le nouveau premier ministre n’avait pas lu le Traité…

Pourtant, même si le risque du vote sanction a largement diminué grâce à la démission du Premier Ministre Bertie Ahern un mois auparavant pour des allégations de corruption, on a peut-être sous-estimé les effets d’un manque de confiance aux autorités politiques qui a commencé à se faire sentir depuis quelque temps. En plus, le fait que certains hommes politiques, y compris le nouveau Premier Ministre Brian Cowen, ont avoué ne pas avoir lu le traité tout en appelant les Irlandais à leur faire confiance quand même, n’a pas aidé les choses. Après tout, quand on élit quelqu’un, on le fait parce on croit en lui, en ses compétences, en sa capacité d’agir dans l’intérêt du pays. Donc, comment s’attendre qu’un peuple vote favorablement pour un texte qu’il comprend mal quand les dirigeants politiques se contentent de ne pas le lire, de ne pas offrir une explication détaillée du texte pour contrer les arguments des tenants du non, de mettre en avant le plus mauvais argument électoral, celui de la reconnaissance.

Responsabilité de la France?

Par ailleurs, l’impression que les autorités politiques ne sont pas maîtres d’un texte s’ajoute à l’impression générale qu’ils ne sont pas maîtres de l’économie irlandaise qui commence à s’essouffler. Si on a déjà souligné (voir l’article précédent) que les mesures structurelles ont compté autant que les aides européennes dans la performance économique d’un pays comme l’Irlande, le non irlandais symbolise peut-être la mise en cause d’un gouvernement qui est devenu de moins en moins prudent par rapport à la bonne gestion de cette croissance. En plus, il y a des Irlandais qui n’ont pas pu profiter du tigre celtique comme il y avait évidemment des Français qui n’ont pas pu profiter des trente glorieuses. Donc, dire à ces gens-là qu’ils seront « la première victime d’un ‘non’ » (Bernard Kouchner, le 9 juin) n’a servi qu’à faire monter la tension.
Si l’on peut critiquer la campagne référendaire des tenants du oui, notamment celle des dirigeants irlandais, on peut oser mettre en question le rôle de la France dans le référendum irlandais : « Les politiques français ont pourtant, eux aussi, fourni des armes au camp du non. Les Irlandais, épris d’indépendance, et qui détestent que leur soit dictée leur conduite, apprécient d’autant moins que des incitations à voter oui aient pu venir de France, là où le traité constitutionnel a été rejeté par référendum en 2005. Les médias irlandais, qui collectionnent ce qu’ils appellent « the french gaffes », ont été très critiques pour Bernard Kouchner. » (Marion Van Renterghen, le Monde, le 14 juin). Le Times britannique souligne l’impact de la prochaine présidence française sur le référendum en disant que le gouvernement irlandais aurait préféré organiser le référendum en octobre mais avait opté pour juin parce que « le risque des développements peu serviables durant la présidence français – ceux liés, en particulier, à la défense de l’UE – était juste trop grand » (David Sharrock, le 13 juin).
Le risque cède maintenant à la réalité. Le peuple irlandais a parlé.

Maura Stewart

Voir le précédent article de Maura