Cher John Paul Lepers, chers journalistes de LaTéléLibre,

Je me permets de vous écrire à la fois en tant que fidèle « téléspectatrice » et enseignante car je trouve que les médias traitent notre mouvement de lutte de façon caricaturale et méprisante.
Vous avez, et je vous en remercie, consacré l’un de vos points rouges à ce sujet, mais sans vraiment le traiter en profondeur. Vous avez bien mis en avant les contradictions de notre mouvement (lycéens mobilisés de façon parfois minoritaire mais qui imposent leurs revendications aux silencieux ; profs qui se « cachent » derrière leurs étudiants…), mais le fond du problème n’est pas soulevé, or, notre lutte est importante, un peu sur la fin, mais tout à fait légitime, et en tant que citoyen(e) (s), je crois que vous devez être attaché à la diffusion de la bonne information.

Il ne s’agit pas, comme le disent les médias de façon simpliste, de lutter « contre les suppressions de postes », mais de contester le choix fait par le gouvernement d’un enseignement de moins bonne qualité, un enseignement moins riche, et un enseignement mois équitable. Derrière le mot suppression de poste, qui donne l’impression que nous, enseignants, ne serions attachés qu’à nos privilèges, se cache un ensemble de mesures qui vont mettre à mal la qualité de l’éducation nationale, obligatoire et laïque, à laquelle, en tant qu’enseignante de français, latin et grec, je suis particulièrement attachée.

20.000 postes en moins, c’est :
– pour les lycées : des options supprimées (artistiques, latin/grec, LV3 : allemand, russe, italien…)

– pour les lycées dits « difficiles » : on leur enlève les moyens qu’on leur avait donnés et qui permettaient des classes moins chargées, des dédoublement…

– pour les collèges : des classes plus nombreuses, surtout là où on aurait besoin qu’elles soient moins nombreuses (ZEP)

– pour les collèges : la fin d’un enseignement de qualité en art plastique/ musique/ éducation physique et sportive puisqu’à la rentrée, et peu à peu, cet enseignement va être attribué à des collectivités territoriales, à des associations, c’est-à-dire à des gens qui ne sont pas des enseignants mais des animateurs, ce qui est très différent.

– pour les collèges : moins d’heures de cours que l’on fait semblant de compenser par la création d’un « accompagnement éducatif ». Celui-ci est destiné aux élèves en difficulté et se fait en dehors des heures de cours (et comme on le sait, les élèves qui ont des difficultés adorent revenir au collège), ce qui pose un problème de sens, mais aussi des problèmes pratiques (pas de ramassage scolaire pour ces élèves qui restent plus longtemps ; ce travail sera fait par des non enseignants).
On pourrait également parler des nouveaux programmes du primaire, des socles de compétences, des bac pro 3 ans…

Tant d’éléments sur lesquels nous devons nous battre et qui rendent la lisibilité de notre lutte presque impossible pour qui n’est pas de la profession. Tant d’éléments face auxquels on ne nous demande que superficiellement notre avis.
Tant d’éléments qui, paradoxalement empêchent la profession de s’unir car on ne sait plus où donner de la tête. C’est une des raisons pour lesquelles les médias ont choisi l’idée simple et récapitulative de « suppressions de postes », mais il convient de comprendre tout ce que cela recouvre.

Voilà, pardonnez cette lettre un peu longue, dans laquelle j’ai tenté d’être relativement claire et de légitimer le fait que depuis trois mois, les lycéens et les profs soient dans la rue, les parents d’élèves occupent très souvent des établissements et soutiennent les enseignants.
Nous arrivons à la fin de l’année, mais nous avons l’impression que notre lutte n’a pas été comprise ni bien relayée et désormais les perspectives sont complexes.

Je vous joins le lien du blog de mon lycée, mais aussi celui d’un lycée de Toulouse où les lycéens multiplient les actions intelligentes et visibles :
http://lyceearagoninfos.20minutes-blogs.fr/
http://stser.unblog.fr/

Cordialement.

Louise, enseignante de Lettres Classiques dans l’Académie de Toulouse.