Elle est a écrit les trois discours sur la religion qui ont attiré les foudres sur le président de la République. Sa dernière sortie en date ? Les sectes seraient  » un non-problème « . Qui est donc Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet de l’Elysée qui a pris la laïcité pour cible ?

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LaTéléLibre fait le point sur les différentes interventions de Nicolas Sarkozy qui remettent en cause la laïcité à la française.

Inspiration présidentielle

Les récentes déclarations de Nicolas Sarkozy sur Dieu et la religion ne lui ont pas été soufflées par le Seigneur, mais par l’une de ses fidèles soldates.  » L’instituteur ne remplacera jamais le pasteur ou le curé « ,  » Dieu transcendant qui est dans la pensée et le cœur de chaque homme « , c’est elle. Le « parrainage » d’un enfant mort en déportation par chaque élève de CM2, c’est elle aussi. Emmanuelle Mignon, directrice de cabinet de Nicolas Sarkozy et auteur de plusieurs de ses discours, est une catholique fervente et fière de l’être. En trois discours pour le président, elle vient de faire vaciller le consensus français autour de la laïcité, qui cimente tant bien que mal depuis un siècle le pacte républicain.

Le bien et le mal

Tout commence au Vatican, avec un discours prononcé le 20 décembre 2007 dans le palais du Latran. Alors que les commentateurs se gaussent de ce que le chef de l’Etat emmène Jean Marie Bigard dans sa délégation officielle et répond à un SMS en présence du pape, son éloge du christianisme et sa critique de la laïcité provoquent un tollé en France. Le style est très obséquieux , et le fond virulent. L’opposition et les spécialistes de la laïcité sont notamment atterrés par l’affirmation du président que « dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur ». Très mal à l’aise, la majorité réplique que le discours de Latran ne constitue aucunement une remise en cause de la loi de 1905. Pourtant, si l’on cherche plus loin dans le discours, rédigé par celle qui conseille Nicolas Sarkozy depuis 2002, on y trouve une attaque frontale. La laïcité, écrit Emmanuelle Mignon, « n’a pas le pouvoir de couper la France de ses racines chrétiennes. Elle a tenté de la faire, elle n’aurait pas du. »

L’auteur de ces lignes qui mettent le feu aux poudres, a été décrite par les Echos comme « une tête au sommet de l’Etat ». Dans les articles qui lui sont consacrés depuis quelques jours, on n’oublie jamais de rappeler qu’elle a été recommandée par le vice-président du conseil d’Etat, Renaud Denoix de Saint Marc, au futur président de la république qui lui avait demandé « le plus beau cerveau de [ses] services ». Emmanuelle Mignon est en effet une ancienne de l’ESSEC, de Sciences Po, et de l’ENA. Mais aussi de l’école Sainte Marie de Neuilly, du lycée privé Sainte-Geneviève, et des Scouts Unitaires de France. Et elle a de beaux restes. A l’hebdomadaire catholique Famille Chrétienne, elle déclare en janvier 2007 : « Ma vie scoute m’a appris que le service du bien public fait partie des missions du chrétien. » Alors que la France s’interroge sur ce qui motive le président à attaquer ainsi la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le fait que sa directrice de cabinet perçoive la politique comme une mission divine a de quoi interpeller. D’autant qu’elle persiste et signe moins d’un mois plus tard, le 14 janvier 2008.

Vive la religion !

Nicolas Sarkozy est ce jour là en déplacement en Arabie Saoudite, et prononce un discours devant le Conseil Consultatif de Riyad. Contre toute attente, le président sous la plume de sa directrice de cabinet va encore plus loin dans l’éloge de la réligion. Avec, en plus de la salutation du « grand élan de piété, de ferveur, de foi » qu’a été la naissance de l’islam, des envolées lyriques où le président semble avoir perdu toute mesure et tout respect de sa fonction. En écrivant pour le président : « Dieu transcendant qui est dans la pensée et le coeur de chaque homme », Emmanuelle Mignon prend son cas de croyante pour une généralité et surtout oublie qu’il n’est pas du domaine du président de la République de prétendre que Dieu serait dans le coeur de chaque homme.

La polémique reprend de plus belle. Le discours de Riyad et celui de Latran sont décriés, le président fustigé de toutes parts, et la question posée : la laïcité est elle menacée ? On se penche sur les rapports de Nicolas Sarkozy avec la religion, et on redécouvre son livre « La République, les religions, l’espérance », paru en 2004. Tout y était déjà écrit, dit Le Monde, de ses convictions en la matière. Son idée principale étant que la laïcité n’est pas ou ne saurait être anti-religieuse, il apparaît peut être normal au président fraîchement élu de sans cesse faire état de sa croyance en Dieu.

Bombe mémorielle

Un nouveau discours, prononcé cette fois devant le Conseil Représentatif des Institutions juives de France le 13 février, se prétend rassurant. Le président affirme n’avoir « jamais dit que l’instituteur était inférieur au curé, au rabbin ou à l’imam ». Mais ce n’est que pour mieux déclarer quelques lignes plus loin qu’il souhaite que les enfants puissent « rencontrer, à un moment de leur formation intellectuelle et humaine, des religieux engagés qui les ouvrent à la question spirituelle et à la dimension de Dieu ». Emmanuelle Mignon regrette-t-elle tant l’école Sainte Marie de Neuilly qu’elle voudrait voir un cours de catéchisme imposé à tous les français ? Outre une lecture de l’Histoire très contestée, qui voudrait que les crimes du nazisme et du communisme aient eu lieu à cause de l’absence de Dieu (ce fameux « Dieu qui est le rempart contre l’orgueil démesuré et la folie des hommes » et au nom duquel aucune guerre n’a jamais été commise) son discours recèle une autre bombe. Mémorielle celle là. Après avoir enflammé autour de la laïcité, Nicolas Sarkozy et Emmanuelle Mignon jettent des flammes sur la concurrence mémorielle qui a cours depuis plusieurs années et qui alimente le communautarisme. Le président veut « confier » la mémoire d’un enfant juif victime de la Shoah à chaque élève de CM2. Choquée, Simone Veil confie à L’Express qu’elle trouve cette idée « inimaginable, insoutenable, dramatique et surtout, injuste ». Annette Wieviorka, historienne spécialiste de la Shoah, n’est pas seulement choquée, mais en colère, comme elle le dit au Journal Du Dimanche. Obligée de reculer, Emmanuelle Mignon corrige en ouvrant la possibilité que ce ne soit plus chaque élève, mais chaque classe de CM2 qui se voie confier la mémoire d’un enfant juif mort en déportation. Une mission a d’ailleurs été mise en place pour étudier la question, à laquelle Simone Veil a accepté de participer.

Stratégie politique

Pourquoi Emmanuelle Mignon, présentée si brillante, déclenche ainsi des crises sur des sujets aussi sensibles que la laïcité et la mémoire ? Ses convictions profondes y sont certainement pour beaucoup, mais pas seulement. Il y a là peut être aussi une stratégie politique. En 2007 , la dir’cab faisait ainsi observer dans Famille Chrétienne qu’à ceux qui lui reprochaient de trop en faire avec la religion, Nicolas Sarkozy avait répondu « Si on essaie de toucher les Français et qu’on ne leur parle jamais de religion, on est à côté de la plaque ! »

Alors que les attaques concernant ses discours étaient dirigées exclusivement vers Nicolas Sarkozy, Emmanuelle Mignon vient de créer une polémique en son nom propre. Dans une interview parue dans la dernière édition de VSD, et dont elle conteste aujourd’hui la teneur, elle aurait déclarée que les sectes étaient « un non-problème en France », qui aurait « longtemps permis de dissimuler les vrais sujets ». Elle s’est aussitôt retrouvée sous le feu nourri des critiques de l’opposition et des défenseurs des victimes des sectes. Ces derniers avaient déjà alerté l’opinion au début du mois de février sur les pressions exercées par les sectes sur le gouvernement. Alors que l’information courrait que la Miviludes, la Mission inter-ministerielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, pourrait être supprimée par Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, Catherine Picard, présidente de l’Union nationale de défense des victimes des sectes avait dénoncé une « victoire du lobby sectaire ». Bien que démentie depuis, la déclaration de Mme Mignon semble lui donner raison. La question porte notamment sur l’église de scientologie, que celle-ci dit ne pas connaître mais à propos de laquelle elle déclare « ou bien c’est une dangereuse organisation et on l’interdit, ou alors ils ne représentent pas de menace particulière pour l’ordre public et ils ont le droit d’exister en paix ». Car la stratégie de l’église de scientologie est précisément de ne pas faire de vagues, quitte à offrir des sommes colossales de dédommagement à ses anciens membres qui se retournent contre elle, pour s’acheter une conduite et devenir respectable. Elle vient d’ailleurs d’être reconnue comme une religion en Espagne où la justice a accepté le 7 février de l’inscrire dans le registre des mouvements religieux officiels du pays.

La direction de VSD a confirmé les propos tenus par Emmanuelle Mignon, dont le démenti reste très ambigu sur la scientologie. Elle déclare ainsi que si les mouvements en question « ne troublent pas l’ordre public et respectent les personnes, ils doivent alors pouvoir exister normalement conformément au principe de la liberté de conscience ». Une dissolution de la Miviludes serait un véritable cadeau offert à l’église de scientologie qui se dit victime d’acharnement de la part de la mission inter-gouvernementale, et qui a même crée un site baptisé antimiviludes.org où elle réclame le respect de la liberté de religion. Après la rencontre en aout 2004 entre Nicolas Sarkozy et Tom Cruise, ambassadeur star de la scientologie, après l’annonce de Michèle Alliot-Marie qu’elle veut « décomplexer la lutte contre des dérives sectaires » et « assurer la liberté de croyance de tous », le nouveau dérapage d’Emmanuelle Mignon qui touche à la laïcité a de quoi sérieusement inquiéter sur le « toilettage » de la loi de 1905 voulu par la ministre de l’Intérieur.

Joseph Hirsch