INTERNET, LE NOUVEAU BOUC-ÉMISSAIRE

Le 28 novembre dernier, le site WikiLeaks – spécialisé dans la récolte et la diffusion d’informations confidentielles – faisait un « buzz » mondial en publiant des centaines de documents confidentiels américains en collaboration avec Le Monde et d’autres grands titres de la presse mondiale.

Une série de notes confidentielles, choisies parmi 250 000 télégrammes diplomatiques émis par le gouvernement des Etats-Unis et le réseau des ambassades américaines. Des fuites qui embarrassent particulièrement les Etats-Unis, qui ont demandé et obtenu que le site ne soit plus hébergé chez Amazon. Le site est désormais hébergé par le serveur français OVH, mais pour combien de temps? Car WikiLeaks est désormais traqué par l’État français. Un dilemme délicat se profile pour l’Elysée : protéger le secret d’état ou respecter la liberté d’expression ? Encore une fois Internet est le bouc émissaire des conservateurs de tous bords.

La vérité n’est donc pas bonne à dire
Il est parfois dangereux d’en savoir trop. WikiLeaks, désormais dans le collimateur de l’Elysée, l’apprend à ses dépens. Les récentes révélations – relatant notamment que Nicolas Sarkozy était dépeint outre atlantique comme un « Empereur nu » – ne plaisent guère à Eric Besson. Le ministre de l’Industrie, chargé également de l’Économie numérique, s’est emparé du dossier. Dans une lettre adressée le 3 décembre au vice-président du CGIET (conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies), il s’interroge sur les recours possibles pour interdire WikiLeaks. Sa demande trouve justification dans l’illégalité présumée du site. « La France ne peut héberger des sites Internet qui violent ainsi le secret des relations diplomatiques… Elle ne peut héberger les sites Internet qualifiés de criminels», explique ainsi le ministre à son destinataire. Avant de le prier gentiment d’« indiquer quelles actions peuvent être entreprises afin que ce site Internet ne soit plus hébergé en France, et que tous les opérateurs ayant participé à son hébergement puissent être dans un premier temps sensibilisés aux conséquences de leurs actes, et dans un deuxième temps placés devant leur responsabilité ».

Le serveur Français OVH, qui héberge actuellement WikiLeaks, se voit directement visé par ces menaces (à peine) voilées. Détail cocasse : OVH compte parmi ses habitants une partie des sites officiels du gouvernement.

« ce n’est pas au monde politique ni à OVH de décider de la fermeture d’un site » (OVH)

Exécutif et justice : liaisons dangereuses.
C’est là que l’affaire se corse et soulève plusieurs interrogations. L’exécutif peut-il faire peser un tel poids sur la justice ? En théorie, la réponse est non. Dans les faits, la problématique se complique. OVH, qui s’est exprimé vendredi par un message de son fondateur adressé à ses clients, a déjà saisi le juge des référés « afin qu’il se prononce sur la légalité de ce site sur le territoire français ». Dans son communiqué, l’hébergeur rappelle également que « ce n’est pas au monde politique ni à OVH de décider de la fermeture d’un site ». Parmi les moyens de pressions dont dispose le gouvernement, la loi sur la confiance dans l’économie numérique stipule qu’un juge peut ordonner à un hébergeur – en référé ou sur une requête – de retirer un contenu jugé illicite. Un dispositif idéal pour l’Elysée : la décision de ce type de procédure s’effectue dans des délais très courts, variant de 24h à 48h. Pour le plaignant, la complexité de l’affaire se résume ainsi à démontrer l’illégalité présumée du site. L’article 414-8 du code pénal fait ici office d’atout. Il y est écrit que les intérêts fondamentaux de la nation et le secret défense sont « applicables aux actes… qui seraient commis au préjudice des puissances signataires du traité de l’Atlantique Nord ». Bon point pour le gouvernement : les Etats-Unis en font partie. Mais en attendant le verdict du juge, Eric Besson aura une lourde tâche : contrer certains contre-arguments gênants. Parmi ceux-ci, la loi sur la Presse de 1881, qui protège la liberté d’expression.

Et la liberté d’expression ?
Un obstacle de taille s’oppose aux projets de l’Etat : les faits reprochés à WikiLeaks ne s’inscrivent pas dans les délits de presse édictés par la loi sur la Presse. Selon Maître Bem, avocat spécialisé dans le droit des nouvelles technologies interrogé par LeMonde.fr, « la violation d’un secret en France concernant un étranger ou un autre Etat ne constitue pas une infraction pénale ». L’imbroglio juridique mis à part, l’épisode WikiLeaks relance un débat d’actualité sur le respect de la liberté d’expression. Notamment sur Internet.

Eric Besson devrait d’ailleurs se pencher sur un autre dossier. D’après le site Numerama, le ministre de l’Industrie voudrait s’attaquer aux manifestations non déclarées organisées sur Facebook. Les manifestations lycéennes clandestines et les apéros géants peuvent se faire du mouron. Le secrétariat d’Etat au développement de l’Economie numérique aurait d’ores et déjà pris contact avec le célèbre réseau social. Mais l’affaire WikiLeaks innove à sa façon : pour la première fois, un site Internet d’information se voit directement menacé d’extinction par le gouvernement français. D’après le classement de Reporters sans frontières, la France est passée du 11e au 44e rang de la liberté d’informer en cinq ans. Dans ce contexte, un verdict en faveur du gouvernement contre WikiLeaks ferait mauvaise presse.

Jonathan Bordessoule