LA MÉMOIRE DES NOMS le 23 mai 1998 une marche silencieuse réuni 40 000 descendants d’esclaves antillais, guyanais…

LA MÉMOIRE DES NOMS

le 23 mai 1998 une marche silencieuse réuni 40 000 descendants d’esclaves antillais, guyanais et réunionnais venus honorer leurs aïeux à l’occasion du cent-cinquantenaire de l’abolition de l’esclavage. Se crée alors le Comité de Marche 98 (CM98), qui « prend en charge les problématiques identitaires et mémorielles des originaires des DOM dans le but d’améliorer leur insertion au sein de la république« .

Depuis, chaque année, le CM98 organise une journée de commémoration à la mémoire des victimes de l’esclavage colonial, laquelle a, en 2008, trouvé un écho officiel grâce à la circulaire Fillon du 2mai 2008.

Ce 23 mai nous sommes donc allés à Saint Denis, cœur de la manifestation, nous intéresser à cette grande fête populaire. Au programme : films et débats sur l’esclavage, cérémonies œcuménique et républicaine, prestations de groupe de musique traditionnelle, mise en valeur des cultures DOM, et surtout une exposition des noms donnés aux esclaves libérés en 1848.

C’était en effet le jour de la sortie du livre, « Non An Nou », résultant d’un important travail de recherche effectué par l’atelier de généalogie du CM98 et par une cinquantaine de bénévoles. Comme nous l’explique le Dr Gordien durant la conférence, avant 1848, selon le Code Noir, les esclaves étaient considérés comme des « meubles ». Ils n’avaient ni noms, ni état civil, mais seulement un prénom et un numéro (souvent répertoriés dans les mêmes cahiers que ceux du bétail) il à donc fallut les renommer.
Juste après l’abolition en 1848, mandatés par la commission dirigée par Victor Shoelcher, des officiers d’état civils, parfois d’anciens maitres, ont ainsi donnés des noms à 80 000 personnes, rien qu’en Guadeloupe avec pour consigne de « varier ces noms a l’infini en inversant ou intervertissant des lettres de noms pris au hasard »… Inutile de préciser que le résultat a parfois pu prendre un caractère tendancieux, voir injurieux.

Pendant trois ans les archives parisiennes et celles des DOM se sont vues investies par des bénévoles à la recherche du nom que porta leur aïeul. Sort alors ce livre des noms de familles guadeloupéennes (bientôt suivi par celui des familles martiniquaises).
Ces ouvrages aident clairement aux problématiques de mémoire et d’identité rencontrés par les descendants de ceux qui étaient destinés a l’oubli , en témoignent les 2000 demandes par an qui sont faites dans la rubrique généalogie du site du CM98.
Il nous est clairement apparu que ce groupe que l’on appelle les descendants d’esclaves ont besoin de ce travail de mémoire pour mieux s’inscrire dans la société actuelle.

10 ou 23 mai?

Nous nous sommes également trouvé face à une polémique de dates. En effet le 10 mai, jour officiel de la commémoration de l’abolition de l’esclavage, est la date la plus inscrite dans les consciences, mais pour le CM98 elle s’oppose au 23 mai. « Le 10 célèbre l’abolition de l’esclavage, c’est a dire nous les Français on a crée l’esclavage et on l’a abolit, on est géniaux » raconte une bénévole alors que cette journée, elle, célèbre les victimes de ce même esclavage, ce que « personne n’avait pensé a faire avant le CM98 ». Selon Serge Romana (président du CM98) marquer cette date de l’abolition à été fait « délibérément pour entretenir un sentiment de reconnaissance éternel envers la grande république qui avait aboli, pendant que nous, les descendants, nous avions oubliés la mémoire de nos ancêtres, nous avions honte de cette mémoire »

D’ De Kaball chantera plus tard plusieurs de ses compositions,incluant cette phrase « comment expliquer aux gentils maitres qu’abolir, ce n’est pas guérir »..

Les descendants ont besoin d’une reconnaissance, « nous sommes des enfants de la république et il convient que celle ci nous accueille en tant que tel » (Dr Gordien). Si cette reconnaissance existe sur le papier elle n’est pas encore effective dans les faits et dans les consciences. En effet la période coloniale est souvent mal connue et il semble que la France devrait mieux l’assumer, mieux l’expliquer, notamment dans les manuels scolaires, selon Ali Soumaré pour qui « le compte n’y est pas« .Pour le conseiller régional, l’absence totale de représentation gouvernementale ce jour là, et l’absence de Nicolas Sarkozy à la journée du 10 mai, « en disent long sur l’importance que l’on accorde à ces faits« . Jean Paul Huchon trouve aussi que « le gouvernement s’honorerait s’il sortait un peu de son mutisme qui ressemblerait presque a une sorte de dissimulation« …
Cela semble d’ailleurs être une tradition en France, on préfère ne pas s’attarder sur les aspects les moins glorieux de notre histoire, qu’il s’agisse de l’Algérie, de la collaboration, ou de l’esclavagisme. Il conviendrait pourtant que cette république mène le débat jusqu’au bout et qu’il ne soit pas seulement à la charge des associations de permettre aux descendant d’esclaves et la France d’être, enfin, en paix avec ce passé, afin d’en faire le deuil.

Justine Le Cor
Image: Vincent Massot
Montage: Jean-Daniel Pellen

Publié le 2 juin 2010