Le 7 juin dernier, 375 millions de citoyens européens étaient appelés à désigner les députés qui les représentent au Parlement européen. Pourtant, ce jour-là, 56,45% d’entre eux ont boudé les urnes. Une abstention massive qui ne concerne pas seulement les pays « historiques » de l’Union européenne (France, Allemagne, Autriche, Italie entre autres), mais la quasi totalité des 27 Etats membres.

Moins médiatisés, les scores enregistrés au sein des pays de l’Est et des petits pays sont pourtant tout aussi problématiques. Les 10 « nouveaux entrants » affichent même les taux d’abstention les plus élevés. Un paradoxe quand on sait que c’est précisément au sein de ces Etats que l’enthousiasme européen est le plus fort. Mais à l’instar de ceux de la « vieille Europe », les gouvernements de ces pays n’ont visiblement pas su sensibiliser leurs citoyens à l’importance des enjeux du scrutin sur leur quotidien.

Avec respectivement  80,36%, 79,12% et 72,19% d’abstention, la Slovaquie, la Lituanie et la Slovénie font figure de lanternes rouges en terme de participation. La Bulgarie (62,51%), la Hongrie (63,71%), la Slovénie (71,98%), la République tchèque (72,16%) et la Pologne (72,6%) battent également le record historique de la France (59,52%). L’Estonie, avec 56,8%, a elle aussi enregistré une désaffection supérieure à la moyenne européenne (56,45%), mais elle peut se réjouir de compter 16,5% de votants de plus qu’aux précédentes élections. Les Lettons, dont la participation progresse de 11,72 points par rapport à 2004 pour s’établir à 52,56%, semblent également s’être davantage saisis de la question européenne, même si le taux d’abstention demeure relativement élevé (47,44%).
En Bulgarie (+8,81 points) et en Pologne (+6,53) aussi, le scrutin semble avoir davantage mobilisé les électeurs. On ne peut pas en dire autant de la Lituanie, dont la participation affiche une chute vertigineuse (- 27,5%). En République tchèque (-0,48), en Slovénie (-0,32), en Hongrie (-2,18) et en Slovaquie (+2,68), la tendance reste sensiblement similaire à 2004. En revanche, avec une abstention de 40,6%, les chypriotes, bien que largement en deçà de la moyenne européenne, semblent s’être désintéressés du scrutin, puisqu’ils ont été 11,79% moins nombreux à voter qu’en 2004. Le seul des 10 Etats entrés dans l’UE en 2004 (Chypre, République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, Slovaquie et Slovénie) à avoir enregistré une participation massive est Malte, avec 78,81% de votants.

Cette désaffection peut s’expliquer par différents facteurs, le principal résidant dans la relative « jeunesse » de ces pays.  Mais si l’argument tient pour la Roumanie et de la Bulgarie, qui n’ont rejoint l’UE qu’en 2007 et n’avaient donc encore aucune expérience de législature au Parlement européen, il est moins évident pour les 10 Etats entrants de 2004, qui se réjouissent pourtant de leur adhésion et, pour certains (la Slovénie et la Slovaquie), de l’adoption de la monnaie commune qui atténue les effets de la crise. Phénomène surprenant, les Polonais, qui ne connaissent des élections libres que depuis 20 ans, comptent paradoxalement parmi les plus forts taux d’abstention.

Mais si l’abstention apparaît comme le grand vainqueur de ce scrutin (au détriment de la démocratie elle-même), il est un autre gagnant : la droite. Le PPE gagne 21 sièges au Parlement européen quand le PSE en perd pas moins de 58, et la gauche de la gauche 8. Un incontestable virage à droite en partie imputable à la récession qui secoue le vieux continent, mais aussi à la défiance de certains pays eu égard à leur gouvernement. C’est notamment ce qui s’est passé en Hongrie, où les sociaux-démocrates au pouvoir perdent 5 sièges au Parlement quand la droite du Parti nationaliste (Fidesz) en gagne 2, avec 56,4% des voix.
En Bulgarie, où la droite (25,5%) devance également la coalition de centre-gauche au pouvoir (19,7%), la présentation de candidats soupçonnés de corruption et le scandale survenu autour d’un achat présumé de voix a suscité la méfiance, et l’abstention a fait figure de sanction envers le pouvoir en place.
En Pologne, le parti libéral PO (plateforme civique) du premier ministre Donald Tusk a doublé ses scores depuis 2004 avec 45,3% des suffrages exprimés. Et en République tchèque, l’ODS de droite affiche un score de 28,8%, contre 24,6% pour les sociaux-démocrates. Seules la Slovaquie et la Roumanie font exception à la règle, avec un parti de gauche vainqueur pour la première quand droite et gauche sont au coude à coude pour la deuxième. Mais pour ces deux pays et pour la Hongrie et la Bulgarie, un autre phénomène inquiétant se profile : la percée de l’extrême-droite favorisée par l’abstentionnisme. Le SNS slovaque décroche ainsi un siège à Bruxelles avec 5,6% des voix, les ultra-nationalistes roumains de PRM en obtiennent 2 avec 7,2% des voix, tout comme le parti d’extrême-droite bulgare, avec 11,2%. C’est en Hongrie (3 sièges avec 14,7% des suffrages) et en Pologne (16 sièges avec 29,5% des voix pour le parti Jobbik) que l’extrême-droite réalise ses meilleurs scores.
Reste maintenant aux différents partis à composer des alliances stratégiques. Car avec 263 sièges sur 736, le parti populaire de droite ne dispose pas de la majorité, même en s’alliant aux libéraux de l’ALDE (81 sièges). Et la reconduction de l’alliance PPE-PSE est peu probable.

Emmanuelle Bourget