VU DES USA

Dans cet article, paru initialement lundi 24 novembre sur le site américain Salon.com, reproduit et traduit avec l’autorisation du site, Mike Madden souligne les premières déceptions soulevées par les premiers choix de Barack Obama durant la période de transition : il a nommé beaucoup d’anciens responsables ou conseillers sous l’administration Clinton, et va même conserver le Secrétaire à la Défense de George W. Bush. Comme Obama était le premier à le reconnaître en 2006 dans son autobiographie, il est voué à décevoir les espoirs d’un certain nombre de personnes car les gens ont toujours projeté leurs idées sur lui. Mais sa volonté de changement, les objectifs précis qu’il donne aux uns et aux autres, le protègent encore.

Barack Obama, honeymoon killer?

(Barack Obama, briseur de lune de miel ?)

La clique des Clinton  dans son Cabinet, Lieberman pardonné,  les signes alarmants d’un centrisme – les progressistes ne sont malgré tout pas prêts à paniquer, pas encore.

Par Mike Madden.

Une des premières  choses que Barack Obama a faite après sa victoire il y a maintenant deux semaines a été de mettre à la tète de la Maison Blanche un vieux routier de la politique. Ensuite, il a sauvé Joe Lieberman. Il a alors rencontré John McCain, et proposé à Hillary Clinton le Secrétariat d’Etat. Pour donner bonne mesure, il s’est aussi interrogé sur le maintien du Secrétaire à la Défense de George W. Bush Robert Gates, au Pentagone.
C’est donc lui celui que les Républicains traitaient de socialiste, voire de marxiste, et auquel  le National Journal a donné le titre de membre le plus libéral du Sénat ? Les conseillers de McCain disaient le soir de l’élection que leurs sondages montraient que 60% des Américains croyaient Obama libéral (et ils sont nombreux a avoir voté pour lui malgré cela). Deux semaines de transition plus tard, ce nombre devrait avoir déjà rapidement chuté.

Joe Lieberman, sénateur du Connecticut et président de la commission des affaires étrangères au Sénat, en compagnie de Barack Obama et John McCain. (Crédits : MSNBC)

En fait, avec ces nominations, et ce que l’on peut présager de sa politique étrangère, il y a de sourds échos de la dernière administration démocrate, et aussi de cette dame qu’il a battue lors des primaires, celle que les netroots, les groupes d’action par internet n’aimaient pas beaucoup. Il y a certainement des supporters d’Obama qui sont rendus nerveux par les présages de l’administration Obama.  « La liste [des déceptions] devient affreusement longue », écrit le blogueur bmaz sur Firedoglake. « Presque aussi longue que le bras qu’Obama a utilisé pour prendre notre argent et se servir de nos efforts pour le faire élire. Tout ce que nous avons vu est le petit bras qu’il a utilisé pour nous donner un coup de point en plein visage(…) » Chris Bowers, du site Open Left, écrit qu’il se sent « incroyablement frustre… Pourquoi n’y a-t-il pas un seul conseiller de gauche dans le cabinet d’Obama ? » Même Pat Buchanan –qui n’est pas exactement la personne la plus libérale au monde – pense apparemment  qu’Obama a besoin de donner un os à ronger aux progressistes après le début de la transition.
«Je suis ainsi voué à décevoir quelques personnes, si ce n’est toutes. »

Mais jusqu’à présent l’administration Obama  prend une forme plus ou moins identique à celle qu’Obama avait annoncée, entre la rhétorique de l’«espoir »  et du  «changement » : pragmatique, recherchant le consensus, et cherchant à obtenir des résultats. Ce n’est cependant pas ce que beaucoup de démocrates veulent qu’il fasse. Obama était voué à décevoir ses supporters ; voyez la transition comme feuille de route sur la façon dont les choses vont se passer. Et sachez que ce ne sera pas une surprise pour le président-élu non plus ; en 2006, dans L’Audace d’Espérer, il écrivait que les gens tendent à projeter leurs propres idées » sur lui, et reconnaissait ce qui pourrait arriver comme conséquence : «Je suis ainsi voué à décevoir quelques personnes, si ce n’est toutes. »
« Ca a été la caractéristique de son parcours historiquement – la gauche tombe amoureuse de lui grâce à ses talents oratoires et, je pense, son sens de la mission d’aider les gens qui ont eu moins de chance que lui », dit son biographe David Mendell. « Mais il a légiféré vers le centre, et quand il se lance dans une campagne pour une élection générale, il tend à aller encore plus dans cette direction. Il va irriter les gens des deux bords –sauf que la droite s’attend à ce qu’il soit un démocrate, et l’extrême-gauche voudrait le compter parmi les siens. Et il a régulièrement déçu l’extrême-gauche. »


Par exemple, la différence d’opinion la plus importante entre le président-élu et ses supporters est sans doute le sort de Joe Lieberman (Note du Traducteur : colistier d’Al Gore en 2000, il a quitté depuis le Parti Démocrate pour devenir indépendant et soutenir John McCain tout en restant affilié démocrate. De nombreux sénateurs voulaient que lui soit retiré la présidence de la commission des affaires étrangères, en vain car Barack Obama a pris sa défense, comme il l’avait fait en 2006 contre le parti, cette fois par calcul politique : l’objectif actuel est d’atteindre la super-majorité de 60 sénateurs. Il fallait donc le garder comme allié). Il a échappé à une sanction grâce à l’échec des démocrates qui voulaient le sanctionner, alors que les sénateurs démocrates auraient certainement été plus durs avec le sénateur du Connecticut si Obama n’était pas intervenu en sa faveur. Harry Reid, à la place, est devenu l’homme à abattre à cause du soutien qu’il a donné à Lieberman. C’est ou la preuve du déni d’une partie des fans d’Obama, ou le signe, chez les libéraux, qu’Obama a plus à perdre que Harry Reid. Le blogueur et auteur (et contributeur à Salon) David Sirota blâme les vieilles habitudes démocrates, et non Obama, pour le sauvetage de Joe Lieberman. « La direction démocrate [au Capitole] a décidé que la façon dont elle va gouverner va être essentiellement dirigée contre son propre parti ». « Je ne pense pas en fait qu’Obama a fait cela dans les postures politiques qu’il a prises depuis son élection. Il est possible que les leaders du Congrès craignent en fait qu’Obama aura une pratique législative plus agressive que la leur. »

Mais la critique la plus tenace parmi les critiques internes au parti est le long fond de clintonisme qui se manifeste à travers les nominations. Ils peuvent rejeter sur Harry Reid le sauvetage de Lieberman, mais ils ne peuvent pas réécrire les CV de personnes comme Rahm Emmanuel.
Le Comité National Républicain a envoyé aux journalistes des rafales de courriels de recherche sur le passé de chaque membre potentiel de son Cabinet, soulignant combien sont issus de Washington et en lien avec l’administration Clinton ou d’autres parties de  l’establishment.
« Nous aurions pu avoir une administration saupoudrée de quelques proches des Clinton, cela aurait été bien », dit Robert Kuttner, co-rédacteur de American Prospect et membre distingué de Demos, un think tank libéral (et un ancien critique des politiques économiques du centre de Bill Clinton). « Mais quand autant de personnes haut placées sont des vétérans, et qu’il promeut le changement, vous devez lui dire « Attends, il y a un problème. » » Les Républicains espèrent pouvoir exploiter toute distance entre Obama et ses supporters – le Comité National Républicain a envoyé aux journalistes des rafales de courriels de recherche sur le passé de chaque membre potentiel de son Cabinet, soulignant combien sont issus de Washington et en lien avec l’administration Clinton ou d’autres parties de  l’establishment.
La liste de la clique des Clinton durant la période de transition commence avec Hillary Clinton, que l’on dit future Secrétaire d’Etat, puis Emanuel, le futur Secrétaire Général de la Maison Blanche, le co-directeur de l’équipe de transition (et Secrétaire Générale de Bill Clinton à la Maison Blanche), John Podesta et plein d’autres conseillers. Eric Holder, qui aurait été nommé Ministre de la Justice par Obama, était le numéro 2 au Ministère de la Justice sous Clinton. Le gouverneur du Nouveau-Mexique Bill Richardson, qui sera sans doute nommé au Secrétariat au Commerce,  a eu plusieurs postes sous l’administration Clinton (bien qu’il ait soutenu Obama après d’être retiré de la course à la présidence). Le Secrétaire au trésor de Bill Clinton, Lawrence Summers, sera conseiller économique à la Maison Blanche et a presque retrouvé son ancien poste –ce qui a vivement inquiété les progressistes. « Nommer quelqu’un qui nous a mis dans ce pétrin avec ses idées est vraiment une mauvaise idée », dit Robert Borosage, co-directeur de la Campagne pour le Futur de l’Amérique. (Le directeur de la Réserve Fédérale de New York sera nommé Secrétaire au Trésor ; il a travaille dans le passe avec une grande partie de  l’équipe économique de l’ère Clinton.)

Des activistes anti-guerre se demandent aussi ce qui est arrive a l’Obama qui a remporte les primaires de l’Iowa parce qu’il s’opposait a la guerre. « Obama a toujours utilise a son avantage le fait qu’il n’a pas soutenu la guerre en Irak en premier lieu, et c’était un argument-clef utilisé pour discréditer Hillary Clinton, et quelque chose qu’il a été capable de revendre à son bénéfice », dit Kelly Dougherty, directeur exécutif des Vétérans de l’Irak Contre la Guerre. « Les gens ont mis tout leur espoir en l’élection d’Obama –les raisons étaient en fait plus profondes.  Ils ne voulaient pas simplement qu’il soit élu, ils veulent voir un vrai changement. » Ajoutez Clinton, au Secrétariat d’Etat, et le vice-président élu Joe Biden, et Obama tire ses conseils politiques et militaires de personnes qui ont soutenu la guerre en Irak. Et il y a aussi ceux que la rumeur dit considérés pour certains postes et qui sont haïs à gauche encore plus qu’Hillary Clinton. Si le Secrétaire à la Défense de Bush, Robert Gates, reste en place, comment cela sera-t-il perçu par la base ? Et John Brennan, qui a travaillé à la CIA plus tôt dans l’administration Bush et qui, selon les rumeurs, serait préféré par Obama pour un poste élevé dans les renseignements (ou à la CIA ou responsable des renseignements intérieurs) ? La rumeur de Brennan divise déjà à cause de son support de la torture.

Robert Gates, actuel Secrétaire à la Défense de George W. Bush et qui restera en fonction sous la présidence de Barack Obama. Crédits : Time.com

Cependant, même si les critiques sont féroces au sujet de quelques choix d’Obama, il n’a pas beaucoup de choix si ce n’est de se tourner vers d’anciens conseillers de Clinton ; il n’y a pas beaucoup de démocrates qui sont prêts à prendre des postes nécessitant une expérience relativement grande qui n’ont pas travaillé pour Clinton.
« Je n’ai pas été surpris qu’il ait choisi des stars issues du banc de Clinton, parce que c’est le seul banc que nous avons », dit Borosage, qui –en dehors du retour de Summers à un rôle national-, approuve assez la direction qui a été prise par la transition jusqu’à présent. « Beaucoup de ces nominations me frappent car elles sont excellentes, dans le sens ou ce sont des personnes sérieuses qui vont essayer d’obtenir des résultats. »
Cela semble être  la principale motivation de  l’équipe de transition. Chaque déclaration publique d’Obama, Podesta et Emanuel ont mis en avant le désir d’agir dès le premier jour, le 20 janvier. Les progressistes ont beau ne pas aimer certains des noms qu’Obama place dans ces postes, mais ils aiment toujours les objectifs qu’il leur a assignés. En travaillant à Chicago, les conseillers d’Obama n’ont jamais passé autant de temps durant la campagne pour savoir ce que les démocrates de Washington pensaient de leur stratégie, et jusqu’à présent, l’équipe de transition semble avoir une approche similaire. Emanuel, après avoir rencontre les sénateurs républicains jeudi, a paru encore plus bipartisan et magnanime qu’il ne l’a été jusqu’à présent.  « Les défis auxquels fait face ce pays sont immenses », a-t-il dit aux journalistes. « Les problèmes auxquels nous faisons face sont d’une très grande ampleur. Il  y a assez de place et de bonne volonté pour des idées venant des deux partis pour relever ces défis. »
Les conseillers d’Obama se sont mis d’accord sur un message répété aux supporters qui n’aiment pas les nominations qu’il fait : « Obama est aux commandes –du calme. » « Les gens ont besoin de comprendre une chose », a dit son conseiller David Axelrod à ABC NEWS cette semaine : « Il y a une personne qui sera à la tête de la politique étrangère américaine, et il y a une personne qui sera à la tête de la politique économique américaine. Et c’est Barack Obama. »

David Axelrod et Barack Obama. Crédits : New York Times

Jusqu’à présent, le degré de mécontentement est assez faible pour que l’équipe d’Obama ne s’en inquiète pas ; même Kuttner a dit que ceux de  la clique des Clinton  qui auraient pu se faire remarquer (comme Holder, ou le futur conseiller à la Maison Blanche Greg Craig) ont soutenu Obama durant la campagne primaire, ce qui représente un clair changement. Au Capitole, les démocrates disent qu’ils sont pour la plupart impressionnés par la transition jusqu’à présent –il n’y a eu aucun désaccord interne, et les fuites des noms semble être délibérée, tandis que personne n’entend se plaindre ceux qui n’ont pas été nommés. L’éloignement des lobbyistes par Obama  pendant la transition signifie qu’énormément d’équipes s’occupent de mettre en place la nouvelle administration, ce qui est un moyen de rassurer les législateurs, et de nombreux groupes d’intérêts progressistes étaient déjà en  contact avec ceux qui travaillent jour après jour à la transition.
Néanmoins, si l’année prochaine la Maison Blanche propose quelque chose qui irrite vraiment les activistes libéraux, personne ne pourra dire qu’il était surpris. C’est une chose de construire une coalition avec les progressistes et de s’emparer de la Maison Blanche alors que l’occupant actuel connaît des records d’impopularité. Comme Obama et ses supporters le découvrent déjà, c’est une toute autre chose de gouverner.

Article de Mike Madden (Salon.com), traduit par Nicolas Condom (LaTéléLibre.fr)


Article original : http://www.salon.com/news/feature/2008/11/24/obama/index1.html