INTERVIEW TÉLÉPHONIQUE DE AMNESTY INTERNATIONAL

De lundi à mercredi, Nicolas Sarkozy a donc effectué une visite d’Etat en Tunisie. Bilan : le chef de l’Etat français n’a pas voulu s’ériger en « donneur de leçon » et les droits de l’homme sont passés à la trappe. Déconvenue encore, pour ceux qui dénoncent la situation dans ce domaine chez nos voisins tunisiens…

dessin : xavier lacombe

Lors de leur premier voyage en Tunisie en juillet dernier, ni Sarkozy, ni Rama Yade n’avaient évoqué la question des droits de l’Homme. Cette fois-ci, ils avaient promis « un geste fort ». Mais geste fort, il n’y aura pas eu.
Lundi soir lors d’un toast, le Président Sarkozy déclare : « Je ne vois pas au nom de quoi je me permettrais, dans un pays où je suis venu en ami et qui me reçoit en ami, de m’ériger en donneur de leçons ». Le mercredi, au dernier jour de sa visite, le président réitère : « Tout n’est pas parfait en Tunisie, certes. Tout n’est pas parfait en France non plus […] quel pays peut s’enorgueillir d’avoir autant avancé en un demi siècle sur la voie du progrès, sur la voie de la tolérance, et sur la voie de la raison ? ».

Dans un entretien téléphonique accordé à LaTeleLibre, Françoise Leys, coordinatrice Tunisie d’Amnesty International, commentait ce mardi la déclaration du Président de la République :

Amnesty International est l’une des ONG qui mettent régulièrement en lumière les violations des droits humains en Tunisie : « violations systématiques et persistantes des droits humains, notamment des arrestations et détentions arbitraires, des actes de torture et autres mauvais traitements, des procès inéquitables, le harcèlement et l’intimidation de défenseurs des droits humains, et des restrictions à la liberté d’expression et d’association ». Pour Françoise Leys, la Tunisie, c’est un Etat « policier » :

Et puis côté liberté d’expression, on est loin du compte :

Alors bien sûr, la question des droits humains est toujours problématique lorsqu’il s’agit de conclure également de juteux contrats économiques.
Bien sûr, la Tunisie a le bilan le plus brillant des nations du Maghreb en matière économique. Et puis, bien sûr le président Zine Al Abidine Ben Ali a également su s’opposer à la montée de l’islamisme. Mais c’est aussi depuis l’introduction de la Loi antiterroriste de 2003 que la situation des droits humains en Tunisie s’est manifestement détériorée, par la voix Françoise Leys, Amnesty International le souligne encore une fois ici. Pour cette observatrice de la Tunisie, la loi antiterroriste contient une définition vague du terrorisme utilisée par l’Etat pour viser les défenseurs des droits humains et les opposants au gouvernement, un moyen « légal » d’étouffer toute critique indépendante :

« Tout n’est pas parfait en France non plus »

Ce voyage officiel représente désormais un nouveau crève-coeur, pour les défenseurs des droits humains. Nicolas Sarkozy, candidat aux présidentielles, avait promis de faire des droits de l’Homme sa priorité, aujourd’hui de nombreuses voix s’élèvent pour le rappeler. La polémique avait commencé en décembre dernier, au moment de la venue de Khadafi à Paris. Sarkozy avait pourtant précisé avoir demandé au colonel Khadafi de « progresser sur le chemin des droits de l’Homme », tandis que Khadafi lui même remettait en question l’existence de cette conversation et taclait le Président en parlant des droits de l’homme en France.

Epineuses les questions des droits de l’Homme avec des partenaires commerciaux importants !

Des contrats en matière d’aviation et de centrale thermique ont été conclus, des accords s’élevant à environ 1 milliard 360 millions d’euros en tout. Plus un accord de partenariat dans le nucléaire civil. Voilà de quoi satisfaire Nicolas Sarkozy qui espérait de ce voyage pouvoir décrocher quelques contrats susceptibles de renforcer la place de la France au premier rang des partenaires économiques de la Tunisie.

Conclusion : les droits de l’homme ne font donc pas le poids face à des chiffres. Même Rama Yade n’a cette fois pas osé/voulu/pu élever la voix, tout juste a t-elle rencontré une ONG, sans faire beaucoup de bruit.

Claire Tarou

Un montage signé Samuel Zunic: