130 salariés du journal Le Monde (parmi lesquels des journalistes, des techniciens, des salariés de la régie publicitaire) se sont retrouvés jeudi 17 avril 2008 devant le grandiose immeuble du quotidien à Paris dans le 13ème arrondissement pour manifester leur colère et leur inquiétude face au plan de redressement comprenant 130 licenciements secs, décidé le 4 avril dernier par le président du directoire Eric Fottorino. Les salariés ont voté la deuxième grève de la semaine et décidé d’une action forte en forme d’happening radical pour rappeler aux dirigeants qu’ils ne sont pas seulement des numéros, mais bien des êtres humains.

à suivre, prochainement, un reportage en images sur La Télé Libre

des salariés allongés sur le bitume

A 15h ce jeudi 17 avril, les passants qui se sont trouvés devant le 80 du boulevard Auguste Blanqui ont pu voir 130 salariés du journal allongés sur le bitume, un exemplaire du Monde en guise de matelas, un masque blanc sur le visage et vêtus de T-shirt blancs portant chacun un numéro, de 1 à 130. Ces clowns tristes manifestaient leur colère et leur inquiétude face au licenciement sec annoncé de 130 des leurs, d’ici à 6 mois. C’est ainsi, Eric Fottorino et David Guiraud, président et vice-président du directoire en avaient décidé. Dans le lot, 2/3 de journalistes et 1/3 d’administratifs.

deuxième grève de la semaine et des interrogations

L’intersyndicale, qui a appelé à la grève pour la deuxième fois cette semaine (fait sans précédent), demande à ce que les licenciements se fassent sur la base de départs volontaires non contraints, et d’autre part, que toutes les entités du groupe soient maintenues.

Au-delà de l’émotion et de la stupéfaction que cette décision sans appel a suscité, les journalistes et les salariés se posent la question de la pérennité des valeurs dont le journal était porteur jusque-là. Comment continuer à travailler dans les mêmes conditions avec 130 personnes de moins ? Un problème qui ne concerne pas les dirigeants et c’est bien là le cœur du problème. La Société des rédacteurs du Monde (SRM) s’inquiète du contenu du journal qui sera publié aux lendemains du plan de restructuration.

« Amputé de plusieurs dizaines de journalistes, il sera nécessairement différent. Quelles transformations seront induites sur le plan éditorial ? Quels changements en matière d’organisation du travail découleront de la réduction de l’équipe rédactionnelle ? » Le conseil de gérance de la SRM pose la question et souhaite obtenir des éclaircissements sur la stratégie mise en œuvre par le directoire.

le destin d’un groupe de renom en question

Le siège du journal, au 80 du boulevard Auguste Blanqui, en dit long sur les espoirs de grandeur d’une autre époque, lorsque Le Monde avait décidé de devenir un grand groupe. Le bâtiment, vestige des années 70, a été entièrement réhabilité par l’architecte Christian de Portzamparc en 2005. Grandioses, luxueux, élégants, le hall d’entrée et la façade de verre en imposent.

Mais dedans, c’est une autre histoire. Le groupe, que Jean-Marie Colombani avait souhaité grand, ne cesse de s’étioler. Après la cession en 2007 du pôle presse quotidienne régionale, le plan du 4 avril propose la cession « des entités déficitaires ou non stratégiques » du groupe : Fleurus Presse (groupe d’édition jeunesse), les Editions de l’Etoile (société éditrice des Cahiers du cinéma), le mensuel Danser et le réseau de librairies spécialisées en littérature religieuse La Procure.
Est-ce qu’au sortir du bras de fer que sont en train de se livrer les deux parties sur l’art et la manière, Le Monde réussira à être sauvé ? Eric Fottorino, quand a lui, assure comprendre « l’émotion des salariés ». C’est déjà ça.

Isabelle Desmond

Rappel des faits depuis le 4 avril 2008

17 avril : Un mouvement de grève, à l’appel des syndicats de personnels, entraîne la non-parution du Monde en kiosque. 129 salariés – représentant symboliquement les 129 suppressions d’emploi prévues dans le cadre du plan de redressement du quotidien – organisent un sit-in devant les locaux du journal boulevard Blanqui. Les salariés de tout le pôle magazines débraient dans l’après-midi.
16 avril : Les salariés du Monde, votent un nouveau mot d’ordre de grève pour la journée du 17 avril pour protester contre le plan de redressement de la direction. Sur 425 votants, il y a eu 69 votes contre (16,23%), 346 pour (81,41 %) et 10 blancs ou nuls (2,35%). Les personnels du Monde Interactif sont solidaires.
15 avril : Un comité d’entreprise extraordinaire se tient au quotidien pour commencer l’examen du plan de redressement annoncé le 4 avril. Le président du directoire du Monde, Eric Fottorino, présente aux salariés son projet de réorganisation, qui s’accompagne de 129 suppressions d’emplois. Les salariés de Fleurus Presse, réunis en assemblée générale, votent une grève pour le jeudi 17 avril 2008.
14 avril : Un mouvement de grève, à l’appel des syndicats de personnels, entraîne la non parution du Monde en kiosque. L’intersyndicale veut s’opposer à l’application du plan de redressement économique présenté par la direction, qui prévoit, notamment, le départ de 130 salariés.

11 avril : A l’issue de ce comité d’entreprise extraordinaire, l’intersyndicale du Monde publie un communiqué maintenant son appel à la grève. L’intersyndicale exige que la direction s’engage dans un véritable dialogue social afin que, d’une part, ce plan se fasse sur la base de départs volontaires non contraints, et d’autre part, que toutes les entités du groupe soient maintenues. Les personnels du Monde interactif expriment leur solidarité à leurs collègues du groupe.

10 avril : L’intersyndicale du pôle magazine du groupe Le Monde lance un appel à une grève immédiate, après le refus de la direction de la demande des salariés de faire paraître dans Télérama, Courrier international et La Vie leur texte rejetant le plan de redressement. Le mouvement est suspendu le lendemain, après que la direction, tout en maintenant son refus de publier ce texte, a proposé à la place la parution dans les prochains numéros d’un article « exposant les faits et rapportant des déclarations de l’intersyndicale ».
8 avril : A l’issue d’une assemblée générale, l’intersyndicale CGT-CFDT-SNJ du Monde, auxquels s’étaient joints des salariés de Fleurus Presse, Courrier international et Télérama, appelle à une grève le lundi 14 avril. Elle condamne fermement ces mesures d’une sévérité sans précédent au Monde. « Nous serons extrêmement vigilants, afin que soient respectés les intérêts des salariés du journal », a déclaré l’intersyndicale, rejetant « tout licenciement contraint ».
4 avril : Lors de la réunion des conseils de surveillance du groupe Le Monde, le président et le vice-président du directoire, Eric Fottorino et David Guiraud, présentent un plan de sauvegarde de l’emploi qui prévoit la suppression de 130 emplois à la Société éditrice du Monde (SEM), dont deux tiers de journalistes et un tiers d’administratifs, ainsi que la cession « des entités déficitaires ou non stratégiques » du groupe.
Lien vers : le Communiqué du Directoire


Sites Internet :

Architecte – Christian de Portzamparc

Le Monde