« Le président a dit qu’il voulait mettre les victimes au coeur de tout. » La déclaration est de David Martinon, porte parole de l’Élysée, après une réunion présidentielle au sujet de la loi sur la rétention sureté, lundi 3 mars. Ce même lundi, le chef de l’État a reçu l’association Victimes en série (VIES) et l’Association pour la protection contre les agressions et les crimes sexuels (Apacs), favorables à la loi Dati.

Le président de l’Apacs, Jean-Pierre Escarfail, a déclaré : « l’important, c’est qu’on ne laisse pas sortir des gens dangereux de prison sans soins » et a estimé que Nicolas Sarkozy et les associations de victimes sont « complètement sur la même longueur d’ondes ».

J.H., le lundi 03/03/08.

Point sur la polémique.

Le président de la République, qui voit dans la loi sur la rétention de sûreté un instrument de défense des victimes, a décidé de passer outre la décision du Conseil Constitutionnel, et de saisir la Cour de cassation, provoquant l’indignation des syndicats de magistrats et de l’opposition. La loi avait été partiellement validée par le Conseil des sages, mais son caractère rétroactif censuré.

« Une disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut être promulguée ni mise en application. Les décisions du Conseil Constitutionnel ne sont susceptibles d’aucun recours. »

Ça, c’est la Constitution qui le dit. Mais en France, depuis le 6 mai, on a plus fort que la Constitution, on a Nicolas Sarkozy.

Parce que le Conseil des sages avait déclaré inconstitutionnel le caractère rétroactif de la loi sur la rétention de sureté, le président a décidé de s’assoir dessus, et de demander l’avis de la Cour de cassation. Au delà du scandale sur la forme de ce contournement de la Constitution, et de la démarche très électoraliste, les nombreuses critiques de fond que suscitent la loi trouvent un nouvel écho médiatique.

La décision du Conseil Constitutionnel, qui a entériné la loi hormis son caractère rétroactif, censuré, jeudi 21 février, a en effet permis aux magistrats et à l’opposition de redire le mal qu’ils pensent du principe de « rétention de sureté ». Particulièrement engagé dans cette bataille, l’ancien garde des Sceaux Robert Badinter a déclaré dans un entretien au Monde daté du dimanche et lundi 24 et 25 février son opposition à une loi qui permettra qu’une personne soit enfermée « non plus pour les faits qu’elle a commis, mais pour ceux qu’elle pourrait commettre ». Pour l’ancien président du Conseil des sages, ce dernier, en censurant son caractère rétroactif, n’a fait que retirer « une partie du venin de la loi ». Dénonçant un « tournant très grave », il a estimé que la loi atteignait « les fondements de notre justice » et a interrogé : « Que devient la présomption d’innocence, quand on est le présumé coupable potentiel d’un crime virtuel ? »

Elle aussi ancienne ministre de la justice, et elle aussi adversaire de la première heure de la loi Dati, Elisabeth Guigou a quant a elle insisté sur la « dérive grave et dangereuse » que représente la saisie par Nicolas Sarkozy de la cour de cassation. « C’est la première fois dans toute l’histoire de la Ve République qu’un président ne respecte pas une décision du Conseil Constitutionnel », a-t-elle dénoncé.

Face aux attaques de la gauche, dont l’indignation est pourtant partagée par les syndicats de magistrats eux mêmes, la majorité a répondu avec violence, en accusant les opposants à la loi de défendre des « monstres ». Porte parole de l’UMP, Nadine Morano a ainsi déclaré : « Je laisse le soin aux Français de juger le Parti Socialiste qui se met clairement du côté des assassins et oublie toutes les victimes. » Ce n’est plus seulement le bien fondé de la loi que l’UMP défend mais le principe de rétroactivité lui même, que la Constitution rend impossible dans le droit français. On ne peut en effet être condamné en vertu d’une loi qui n’existait pas au moment des faits.

Quand elle affirme comme Mme Morano que « poser la question de la rétroactivité de la loi pour les violeurs d’enfants et les assassins déjà condamnés, c’est d’abord vouloir assurer la sécurité des Français », la majorité peut s’appuyer sur un très fort soutien populaire. Un sondage IFOP commandé par le Figaro indiquait mardi 26 février que 80% des français approuvent la loi sur la rétention de sureté. Et surtout que 64% d’entre eux sont pour la rétroactivité dans le cas de cette loi. Ce soutien populaire est évidemment dû à l’horreur qu’ont suscité dans l’opinion les faits divers impliquant des violeurs, pédophiles ou assassins récidivistes. Mais cette horreur a surtout été bien exploitée par l’UMP, qui ne cesse de citer des noms de pédophiles, et d’agiter la peur des « monstres ». En matière de justice, la loi ne se fait pourtant pas sur le sentiment populaire. Une étude TNS-Sofres indique que jusqu’en 1994, les Français étaient majoritairement favorables à la peine de mort, abolie en 1981 par la loi Badinter.

Dans ce débat qui déchire la France, l’arbitre pourrait bien être européen. C’est en tout cas ce que pense Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil Constitutionnel, qui juge la loi mauvaise et qui prédit sa fin possible au regard du droit européen. « Rien ne dit que cette nouvelle loi pourrait survivre à une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme », a-t-il déclaré au Nouvel Observateur. « Si un condamné, soumis à la rétention de sûreté, décide de déposer un recours à Strasbourg, il y a de fortes chances que la Cour nous condamne. Cela mettrait fin à la rétention de sûreté et à tout ce débat mal engagé. »

Joseph Hirsch, le 29/02/08

Pour revoir notre reportage de janvier sur la loi Dati « rétention de sûreté » :

http://latelelibre.fr/index.php/2008/01/la-prison-apres-la-prison/

LaTélélibre avait, le 8 janvier 2008, passé une longue soirée à l’Assemblée Nationale, lors du débat avant vote de cette loi immédiatement controversée…