Maura Stewart est irlandaise. Elle nous a contacté pour participer à LaTéléLibre. Voici sa première contribution. Bienvenue Maura (voir une auto-présentation en bas de page).

La France va prendre la présidence de l’Union européenne en juillet 2008. En ce moment, ce pays vit une véritable polémique concernant les propos tenus par la directrice de cabinet du Président Sarkozy sur la scientologie.

Après la controverse crée par son discours de Latran sur la religion et la laïcité, je me sens en droit de me poser des questions sur la stratégie de la « rupture » du Président français, en particulier vis-à-vis des principes fondamentaux de la République française… Le Sénateur Philippe Nogrix a bien voulu répondre à mes questions sur cette polémique.

Ce dernier pense que cette polémique a été suscitée et désirée par le Président lui-même.

Maura Stewart: Pensez-vous que les propos controversés d’Emmanuelle Mignon, la directrice de cabinet du Président Nicolas Sarkozy, sur les sectes, représentent la zone d’ombre de la « laïcité positive » prônée par le Président dans son discours du Palais du Latran ?
Sénateur Philippe Nogrix : On peut se poser la question sur la façon d’agir de la présidence française, c’est-à-dire, par à coups successifs. Il y a d’abord un conseiller qui parle, puis ensuite, le porte-parole, et enfin, le Président. Sur la scientologie, j’ai tendance à penser que ce n’est pas innocent, car cela va tendre à une banalisation de la scientologie. C’est une stratégie de communication.

M.S. : Qui tend vers un communautarisme ?
P.N. : M. Sarkozy, en voulant plaire à tout le monde, a tendance à faire une démagogie, une démagogie dangereuse. Il rencontre les autorités religieuses, en allant voir le pape, les autorités musulmanes etc. C’est bien mais il en fait trop.

M.S. : Au moins la rapidité avec laquelle M. Sarkozy essaie de déminer les propos de sa directrice de cabinet montre qu’il est sensible aux réactions françaises sur ce sujet…
P.N. : Les réactions des Français ont été très vives et M. Sarkozy a su maîtriser ce problème. Il a en une attitude positive en disant qu’il fallait être ferme avec les sectes.

M.S. : Claude Guéant a avoué en 2005 que la surveillance sur la scientologie avait été « réduite », voire « annulée », alors qu’il était chef de cabinet du Ministre de l’Intérieur. Pour M. Sarkozy, « un homme qui croit, c’est un homme qui espère ». Alors, concrètement, quel avenir pour la liberté d’expression en France, quand on a apprend que M. Palisson, un lieutenant des R.G., a, après avoir publié une thèse sur cette secte, été évincé sous la pression de Mme. Gounord, porte-parole de la scientologie en France ?
P.N. : Je pense que la liberté d’expression est contrôlée par l’entourage du Président. C’est un domaine qu’il maîtrise. Prenez par exemple les commissions qu’il a crées, il n’y en a jamais eu autant en ce moment. Et suivant les résultats de ces dernières, il décide oui ou non d’en faire usage. Si une enquête est négative, sa stratégie de communication est de maîtriser cette commission.

M.S. : Pour reprendre la question de M. Bayrou, quelle est l’autorité du Président pour s’exprimer sur la religion ?
P.N. : Il n’a pas à s’exprimer sur la religion, car le peuple français n’a pas à être influencé par qui que ce soit, de surcroît, par un Président.

M.S. : Dans son discours de Latran, il a singulièrement insisté sur les racines chrétiennes de la France, cela m’a rappelé la controverse autour du Traité européen de M. Giscard d’Estaing, quand il s’agissait d’inclure des allusions aux racines chrétiennes de l’Europe dans le traité, ou non…
P.N. : Il y a deux niveaux à ce sujet-là : il y a le niveau politique et le niveau historique, culturel. La religion chrétienne a joué un rôle sur l’évolution de nos pays. Est-ce que la politique peut-en tenir compte ? Non, car cela doit rester une identité culturelle. Ce n’est pas au Président de l’inclure dans les débats. La politique doit donner une vision sur l’avenir. La religion rentre dans le domaine historique. Et quand on mélange secte et religion, c’est encore plus dangereux.

DES PRÉCISIONS SUR L’AUTEURE…

« Vous êtes irlandaise ! Catholique ou protestante ? » Il n’y a qu’en France qu’on me pose cette question. Au début, j’avais du mal à comprendre le raisonnement se profilant derrière cette interrogation. Ma réponse est peut-être naïve mais assez directe : « Irlandaise, c’est tout ! ». Je sais que l’Irlande est bien connue pour son côté « très religieux », mais je pense que les étrangers se font une idée un peu erronnée de la conception « irlandaise » de la religion. Oui, le catholicisme figure toujours dans notre culture, dans nos traditions, mais on ne sent pas le besoin de faire un grand discours dans notre équivalent du beau Palais de Latran pour affirmer que « un homme qui croit, c’est un homme qui espère »…

Le problème pour moi, en tant qu’irlandaise, est que l’Histoire de mon pays montre malheureusement qu’un homme qui croit trop peut être un homme très dangereux… Le communautarisme en Irlande a dominé jusqu’à récemment notre Histoire. Le peuple irlandais en a payé un lourd tribut au cours des guerres religieuses. Nos dirigeants ont réussi à faire tourner la page, en 1998, avec les accords de Saint Vendredi. Les cendres de ces conflits sont toujours chaudes, et il peut suffire d’un discours malvenu pour en raviver les flammes. Actuellement, je ne me souviens pas avoir entendu ce genre de discours religieux entrer dans les Parlements, nord et sud.

C’est donc avec un grand étonnement que j’ai lu le discours de M. Sarkozy qui remet en question ma perception de la laïcité en France. Je n’ai jamais pensé qu’un curé pouvait être le rival d’un instituteur. En disant que « l’instituteur ne pourra jamais remplacer le curé », M. Sarkozy me donne l’impression que l’harmonie cède la place à la dominance. Les déclarations de sa directrice de cabinet sur la scientologie et les sectes ne font qu’intensifier le débat déjà brûlant sur la laïcité.

Je suis une européenne convaincue. Convaincue par cette Europe inspirée par la vision de Français comme Monnet, Schuman, et dont M. Delors a continué le dessein. Cette Europe garde encore les cicatrices des dérives communautaristes, comme les Balkans, qui la rend si sensible. La France va prendre la Présidence de l’UE en juillet. En tant qu’irlandaise, je me pose des questions sur la démarche et la motivation de Nicolas Sarkozy concernant les questions sensibles de la laïcité et du communautarisme : est-ce que l’adage « Diviser pour mieux régner » est en train de remplacer son slogan de campagne présidentielle «Ensemble, tout devient possible » ?

Maura Stewart