Invité en grande pompe par Nicolas Sarkozy, le président lybien Mouammar Kadhafi a quitté Paris en laissant derrière lui un cortège de polémiques. Très critiqué par l’opposition pour accueillir avec les honneurs un dictateur accusé de torture et de terrorisme, le Président a essuyé des critiques au sein de la majorité et même du gouvernement.

 

Lundi soir, l’Elysée répondait en dégainant le chiffre de « 10 milliards d’euros » et les « 30 000 emplois sur 5 ans » générés par les contrats que la visite du « Guide » lybien aurait permis de signer. Des chiffres que télévisions, radios et journaux n’ont pas manqué de reprendre en choeur.

Seulement, au delà du débat éthique sur l’opportunité de fournir des armes et des compétences en matière de nucléaire à un dictateur qui n’a renoncé qu’en 2003 au terrorisme et à ses programmes d’armes de destruction massive, la réalité même de ces chiffres reste à interroger.

Invitée mardi de La Tele Libre, Ségolène Royal dénonçait sur le plateau de « Sous les Pavés… » la récupération faite par Nicolas Sarkozy d’efforts commerciaux antérieurs, « comme si sa seule présence déclenchait des contrats commerciaux ». Rappelant que « la plupart de ces contrats sont signés souvent avant », elle s’étonnait de ce que tout le mondre reprenne les chiffres de l’Elysée sans que « personne ne pose la question […] de la véracité du contenu financier » de ces contrats. « Peut être La Télé Libre pourrait elle le faire ? »

On ne peut rien refuser à Ségolène Royal.

C’est le site Bakchich et le journal Libération qui ont les premiers enquêté sur les contrats. Après vérification auprès des entreprises concernées, ils se sont aperçu qu’on était loin des 10 milliards d’euros annoncés par le Président. Très loin.

Première surprise, la vente des 21 Airbus à deux compagnies d’aviation lybiennes n’est que la confirmation d’une « intention d’achat » signée en juin dernier au Salon de l’Aéronautique du Bourget. Ces intentions d’achats se transformant en commande ferme « dans 99% des cas », selon Airbus, cette signature ne peut en aucun cas être mise au crédit de Nicolas Sarkozy. Par ailleurs, là où l’Elysée annonce un contrat à 2,7 milliards d’euros, Airbus parle en réalité de 2,08 milliards, selon RFI, soit tout de même 620 millions d’euros de moins.

Une grosse commande prévue il y’a déjà six mois donc, et des milliards annoncés alors que pour les autres contrats, tout reste encore à négocier.

En fait de contrats militaires (4,5 milliards d’euros selon l’Elysée), il ne s’agit en réalité que d’un « mémorandum sur la coopération en matière d’armement », qui prévoit des négociations. Les 2 milliards d’euros de contrats de coopération nucléaire, s’ils venaient à être effectivement signés, s’étaleraient sur plusieurs années. D’autres contrats, sur l’eau et le BTP, sont encore à l’état de projets. Interrogé par Libération, un cadre de Veolia (pour qui l’Elysée annonce un contrat de gestion d’eau potable), est catégorique : « On a rien signé du tout. Sur l’annonce de l’Elysée on ne souhaite pas faire de commentaire ».

L’unique commande ferme que l’on peut attribuer à la visite de Mouammar Kadhafi à Paris est un contrat de 300 millions d’euros signé par Areva, et portant sur du matériel de transmission et de diffusion d’éléctricité. Surement un problème de calculette.

Joseph Hirsch