Rabat, MAROC – Le parti islamiste Justice et Développement (PJD) ne sera pas le premier parti du parlement…

Rabat, MAROC – Le parti islamiste Justice et Développement (PJD) ne sera pas le premier parti du parlement marocain. A la surprise générale, le parti nationaliste de l’Istiqlal, le plus vieux parti du Maroc, a remporté les élections législatives les plus transparentes réalisées au Maroc, d’après de nombreux observateurs internationaux.

L’Istiqlal a obtenu 52 sièges, soit quatre de plus que sous la précédente législature, suivi du PJD qui en a remporté 46. L’Union Socialiste des Forces Populaires, qui était le premier parti du parlement, a subi un vote sanction, en perdant 12 sièges et en devenant le cinquième parti avec seulement 38 sièges.

PAS DE RAZ-DE-MAREE ISLAMISTE

Dès l’annonce des résultats provisoires samedi soir, les dirigeants du PJD, ainsi que ses militants, étaient amers et dénonçaient avec virulence l’achat de voix.
« Vous avez le PJD, vous avez l’argent, donc dans ma lignée je suis premier, contre la corruption… Beaucoup d’argent a coulé, c’est écoeurant. On entre dans la mondialisation, il y a des partis qui sont rétros, qui ne veulent pas comprendre que le Maroc doit se moderniser, doit aller de l’avant, » déclare
Lahcen Daudi. « Il faut que les gens sachent que nous sommes la première force politique du pays, » rajoute-t-il après l’annonce des résultats définitifs. « C’est le PJD qui est premier en termes de voix. C’est le système électoral qui nous a pénalisés. On s’attendait à plus de sièges. »

D’après Driss Ben Ali, ancien professeur d’économie à la faculté de droit de Rabat et président de l’association Alternatives, le PJD a tellement modéré son discours pour rassurer et plaire au Makhzen qu’il n’a pas mobilisé autant d’électeurs que prévu.

VICTOIRE SURPRISE DE L’ISTIQLAL

Chez les Istiqlaliens, l’ambiance était à la fête samedi soir. On n’est pas surpris de notre résultat, dit un jeune militant, Khalil El Fassi. « On avait réalisé un sondage qui nous donnait 51 sièges. » La victoire du parti de l’Istiqlal est en réalité la grande suprise de ce scrutin. Ce parti dispose de fiefs électoraux à travers le Maroc, qui lui assurent un certain nombre de sièges. De plus, il a su médiatiser les résultats positifs de ses trois ministres présents au gouvernement, tandis que l’USFP devait défendre un bilan plus mitigé des siens, en charge de dossiers plus délicats comme l’éducation nationale et la justice.
Mais les dirigeants de l’Istiqlal avaient-ils prévu le faible score du PJD? C’est loin d’être sûr. « C’est le taux de participation qui a donné des résultats inattendus, » explique un ancien haut responsable. « Les partis politiques travaillent dans un mouchoir de poche. »

LE TAUX DE PARTICIPATION, MAUVAISE SURPRISE DE CES
ELECTIONS

Seuls 37 % des 15 millions d’inscrits sur les listes électorales se sont déplacés. En 2002, ils étaient 51% et les autorités marocaines espéraient une participation plus élevée cette année.
Le faible taux de participation semble avoir changé la donne et empêché les islamistes du PJD de devenir le premier parti du pays. Ils ont échoué à mobiliser une partie de leur électorat, qui s’il est difficile à évaluer, semblait leur être acquis.

La méfiance des Marocains à l’égard des partispolitiques était-elle plus forte que leur adhésion à une éventuelle alternative islamiste?
« Gagner quatre sièges supplémentaires, ce n’est pas gagner une élection, » dit Michael Willis, professeur à l’université d’Oxford et spécialiste du Maghreb. « Les vrais gagnants du 7 septembre sont les 63% qui n’ont pas voté. »
« Je regrette d’avoir voté, maitenant que j’ai les résultats, » plaisante Hamid, un pharmacien du quartier de Takaddoum. « Les gens de mon quartier me disent ‘qu’as-tu fait?’ Ils se sont moqués de moi lorsqu’ils ont vu la tache d’encre sur mon pouce. »

DES CAS D’ACHATS DE VOIX

« Je suis content, j’ai convaincu tout le monde de ne pas aller voter chez moi, » dit Hassan*. « Des militants d’un parti sont venus taper à ma porte pour me demander combien nous sommes à la maison. Ils m’ont dit ‘On vous donne 100 Dirhams par personne.’ Je les ai envoyé balader. » Des achats de voix se seraient produits de manière plus originale, d’après des habitants de Rabat:
L’électeur va vers l’isoloir. Il photographie à l’aide d’un téléphone portable le logo barré d’une croix du parti pour lequel on lui a demandé de voter, cette
photo servant de preuve pour l’obtention de la somme d’argent promise par le parti.

UN PARLEMENT POUR QUOI FAIRE ?

Une grande partie des Marocains ne croient plus à l’utilité d’un parlement, qu’ils jugent corrompus et dont le rôle n’est pas clair.
Alors que les résultats étaient rendus publics, Mohamed*, un chauffeur de taxi, ne cherchait pas à savoir qui avait remporté ces élections. « C’est commesi nous étions invités à un mariage et que nous refusions d’y assiter. Ils n’ont qu’à le faire sans nous. »

A travers ce scrutin, les Marocains ont montré qu’ils n’adhéraient pas au fonctionnement du système politique et qu’ils ne faisaient pas confiance aux partis. Comme le disent bon nombre d’entre eux, le premier parti du Maroc est aujourd’hui celui des abstentionnistes.

Ilhem Rachidi