Hier, nous avions essayé en vain d’obtenir une réaction de la direction de France 5 à propos de la disparition d’ASI. En voici une, qui n’est pas exclusive, mais qui a le mérite d’éxister: Daniel Guigou, le médiateur de France 5 écrit aux téléspectateurs inquiets ou furieux de la fin d’Arrêt sur Images. Il écrit aussi aux satisfaits…
Daniel Schneidermann en fait un commentaire sur son blog.

Madame, Monsieur,

Vous avez été nombreux à me solliciter dès l’annonce par France 5 de la non reconduction de l’émission Arrêt sur Images sur la grille de rentrée 2007. Je vous remercie de votre confiance.

Il est vrai qu’une telle décision est importante. Elle porte sur un programme qui était devenu emblématique parmi d’autres, au fil des ans, pour la chaîne de la connaissance et du partage du savoir. Comme vous le rappelez souvent très justement, elle était une des raisons d’être fier du service public.

Aussi, pour beaucoup d’entre vous, la déception est très forte. Les réactions négatives passent du simple « étonnement » poli à la « colère », voire au déchaînement littéraire particulièrement violent dans les mots et parfois même insultants, dépassant la mesure de la raison. Les expressions les plus souvent utilisées pour qualifier la décision sont « lamentable » (comme dans le mail de Peter L.), « méprisable » (comme dans le mail d’Antoine M.) et « honteux » (comme dans le mail de Vianney D.).

La grande majorité des réactions envoyées au médiateur développe un procès d’intention contre la direction de France 5. La décision de la chaîne est interprétée comme politique : le fait qu’elle suit de très près l’élection d’un nouveau Président de la République prouverait à la plupart d’entre vous qu’elle est le résultat d’une censure organisée. Ainsi pour Romain K., « elle intervient au lendemain de l’élection d’un président qui n’a plus à démontrer son influence néfaste sur le PAF et son mépris du service public ». Pour Danielle P., « les médias sont verrouillés les uns après les autres ». Pour Maria R., « c’est le syndrome « après 6 mai 2007 » ».

Une pétition a d’ailleurs été lancée pour réclamer la reprise d’Arrêt sur Images.

Mais je constate que les réactions à l’annonce par France 5 de la suppression de l’émission Arrêt sur Images sur la grille de rentrée 2007, qui s’expriment ici ou là depuis plus d’une semaine, sont en fait partagées.

Il y a la presse qui reste nuancée, mais aussi les blogs et les forums qui permettent à de nombreux téléspectateurs et d’internautes d’exprimer spontanément leurs critiques vis-à-vis de l’émission Arrêt sur Images et même leur satisfaction de la voir supprimée. Ces téléspectateurs mettent en cause principalement, selon eux, le manque d’objectivité de l’émission et son vieillissement. Ainsi, sur le Big Bang Blog, le blog de l’émission Arrêt sur Images, on peut lire le 21 juin 2007 : « Enfin une bonne nouvelle ! Merci Docteur, je pense que cette « asimectomie » sera salutaire. Depuis le début, cette émission répand une odeur de naphtaline qui incite au zap ». Sur le forum du magazine Le Nouvel Obs, le même jour : « Après tout, une autre émission pourrait-être aussi intéressante et moins partisane ». Sur le forum du magazine Le Point, le 19 juin 2007 : « Passionnante à ses début, l’émission tournait en rond et ne m’apportait plus rien ».

J’ajoute que les syndicats se sont également exprimés. La CFDT médias a condamné la suppression de l’émission Arrêt sur Images, mais elle « n’entend pas pour autant prendre fait et cause pour son animateur ». Quant à l’intersyndicale France 5 regroupant la CFDT, FO, la CGT et la CGC, elle dénonce la « campagne de dénigrement orchestrée par Daniel Schneidermann qui porte gravement préjudice à la chaîne de la connaissance et du savoir partagé ».

Le débat est donc largement ouvert.

La direction de France 5 a expliqué sa décision. Elle souligne que sa volonté est « d’innover et de répondre aux exigences de son public ». Elle précise dans ce sens que le renouvellement de la grille entraîne la suppression de non pas une mais de six émissions qui avaient conquis un public chacune à leur façon : Etats Généraux, Madame Monsieur Bonsoir, Arrêt sur Images, L’Atelier de la mode, Mondes et merveilles, et enfin Ubik . Elle annonce surtout une nouvelle émission de décryptage de l’image, comme l’y invite le cahier des charges de la chaîne. Selon Philippe Vilamitjana, le directeur de l’antenne, elle « accueillera en direct toutes les signatures de la presse ».

La direction de France 5 est responsable de ses choix et de son calendrier. Personne ne peut lui reprocher de vouloir faire évoluer sa grille de programme chaque année, à la même époque, comme l’exigent les impératifs de production. Si France 5 peut se féliciter aujourd’hui de rassembler régulièrement plus de 10 millions de téléspectateurs, c’est bien parce qu’elle a su régulièrement, depuis sa création en 1994, prendre le risque de la renouveler en profondeur. Arrêt sur Images était à l’antenne, c’est un fait, depuis plus de 12 ans. C’était la seule émission toujours à l’antenne dont le concept n’avait bénéficié depuis sa création d’aucune modification.

En revanche, France 5, chaîne du service public, se doit d’être fidèle à sa mission éducative. Dans notre société dite « de la communication », le décryptage de l’image entre parfaitement dans cette formation du citoyen, dans un esprit critique, notamment auprès des jeunes qui seront les téléspectateurs de demain. Le cahier des missions et des charges de France 5 précise que la programmation de la chaîne « doit contribuer à l’éducation à l’image et aux médias ».

Dans ce sens, France 5 développe à l’antenne depuis sa création une large programmation qui passe par les magazines et les documentaires. Les magazines comme C dans l’air qui décryptent l’actualité en portant un regard critique sur le traitement médiatique des événements et qui donne la parole aux téléspectateurs grâce à la diffusion à l’antenne des SMS. Ou comme Ripostes qui offrent à des personnalités de tous les horizons la possibilité de réagir à la vie politique, sociale et culturelle de la semaine. Les documentaires qui mettent en perspectives les points de vue dans leur contexte historique et dont certains décryptent le travail des médias et en particulier celui de la télévision comme par exemple les séries Pouvoir et Télévision et La guerre des télés.

Au delà de l’antenne, France 5 poursuit également ses efforts dans le cadre de sa mission éducative à l’image grâce à la création de deux sites Internet (« education.france5.fr » et « lesite.tv ») et ses liens avec la communauté éducative. Ils sont moins visibles, souvent oubliés par le grand public, mais tout aussi constants et efficaces auprès des intéressés. C’est une mise en place systématique d’outils favorisant l’éducation aux médias et l’esprit critique à l’image, ainsi que la participation des téléspectateurs.

Ainsi, en aucun cas, Arrêt sur Images pouvait prétendre avoir le monopole du décryptage et de la critique des médias sur la chaîne de la connaissance et du partage du savoir.

La direction de France 5 réaffirme donc sa volonté de poursuivre ses efforts dans « l’éducation à l’image et aux médias » et annonce une nouvelle émission pour la rentrée 2007-2008 qui s’inscrirait elle aussi dans un esprit et une volonté de décryptage grâce à un nouveau concept plus élargi que celui d’Arrêt sur Images. J’en prends acte et, dans le cadre des saisines des téléspectateurs, je resterai vigilant pour apprécier le respect de la liberté de pertinence et de ton dans les programmes diffusés à l’antenne.

Je vous prie de croire, Madame, Monsieur, à mes sentiments respectueux.

Daniel Duigou Le médiateur